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Animation immobile
"Jusqu'en 2011, je poursuivais cette idée qu'on anime en faisant bouger, en manipulant, en créant l'illusion de la présence par le déplacement, l'arrêt, le regard, etc. A partir des "Hurlements", j'ai changé d'orientation. [...] Je remplace la notion de manipulation par l'idée de côtoiement sur le plateau de l'inerte et du vivant. On les met en regard et il se passe quelque chose. Il suffit que je le regarde comme ça, que je l'écoute, pour que du point de vue du spectateur, il y ait une présence, pour que quelque chose se passe." (1)
On cherchera en vain des noms pour ce dispositif singulier, inventé comme un rituel d’écoute collective de la matière en ruines : « déambulation théâtralisée », « exposition théâtralisée », « traversée théâtrale de la matière », « parcours exposition », « parcours théâtral et musical pour objets, sculptures, pantins bourrés et comédiens » .
À l’heure de la représentation, les spectateur.trice.s sont accueilli·e·s devant un des bâtiments de l’usine. Un personnage de magasinier y lit des lettres de réclamations fictives de Marshall. Ce temps préparatoire, à l’extérieur, à la tombée de la nuit, constitue un sas avant l’entrée dans le premier hangar. Le parcours du public se dessine ensuite d’un espace à l’autre de la forge, guidé par les injonctions des interprètes. Les spectateur·trice·s découvrent des tableaux, des pantins, des écriteaux et architectures miniatures installés dans cet espace immense. À la rencontre de chaque saynète, une halte est faite pour permettre au groupe de lire, de contempler les œuvres ou d’assister à la performance des interprètes qui viennent animer l’installation plastique.
Or l’animation de ces œuvres sculpturales et picturales est produite par de tout autres moyens que la manipulation des objets. Les interprètes s’installent dans, sur, sous, une des sculptures, ou ne font même que l’éclairer. Il·elle·s profèrent des textes à la première personne. On associe alors librement ces voix aux corps-objets visibles ou à des spectres invisibles qui hanteraient l’espace de l’usine. Si les corps-rebuts des pantins avachis ne sont jamais réellement mis en mouvement, ce sont les gestes à l’entour, y compris ceux des spectateur·trice·s, qui animent leur immobilité. Alors que l’on pourrait voir une impressionnante presse en activité, seul un artifice lumineux produit en fait l’impression d’une matière incandescente tandis qu’une musique percussive corrobore l’effet d’un mouvement de la machine. Le déplacement manuel des lumières et la musique, improvisée en direct par la chanteuse Isabelle Duthoit et le musicien percussionniste Jacques Di Donato à partir des éléments présents dans la forge, favorisent la projection sur la matière immobile d’une forme de présence. Une présence qui fonctionne comme une aura pour les objets auxquels le public prête un regard renouvelé, extra-ordinaire.
François Lazaro dépasse donc le principe du « parler pour » qu’il avait déployé dans ces précédentes créations. Il s’inspire ici davantage d’une relation totémique aux objets. Il développe une forme d'animation explicitement artificielle, illusoire, mais non illusionniste : l’artifice est bien visible, c’est le cadre rituel qui permet son efficacité. Le metteur en scène revendique en cela une forme d’archaïsme dans l’animation des objets, un archaïsme qui rend central dans la dramaturgie le fait d’être assemblé·e·s dans un lieu, face à des objets, pour y projeter ensemble des histoires et y écouter des voix sans corps.
À la croisée de l’installation et du spectacle, François Lazaro met les spectateur·trice·s à l’écoute de la vie enclose dans les pantins de Marshall et de celle qui sourd des murs de l’usine.
1. Extrait de l'interview de François Lazaro par Julie Postel pour sa thèse (cf rubrique "Pour aller plus loin")
Animation immobile
"Jusqu'en 2011, je poursuivais cette idée qu'on anime en faisant bouger, en manipulant, en créant l'illusion de la présence par le déplacement, l'arrêt, le regard, etc. A partir des "Hurlements", j'ai changé d'orientation. [...] Je remplace la notion de manipulation par l'idée de côtoiement sur le plateau de l'inerte et du vivant. On les met en regard et il se passe quelque chose. Il suffit que je le regarde comme ça, que je l'écoute, pour que du point de vue du spectateur, il y ait une présence, pour que quelque chose se passe." (1)
On cherchera en vain des noms pour ce dispositif singulier, inventé comme un rituel d’écoute collective de la matière en ruines : « déambulation théâtralisée », « exposition théâtralisée », « traversée théâtrale de la matière », « parcours exposition », « parcours théâtral et musical pour objets, sculptures, pantins bourrés et comédiens » .
À l’heure de la représentation, les spectateur.trice.s sont accueilli·e·s devant un des bâtiments de l’usine. Un personnage de magasinier y lit des lettres de réclamations fictives de Marshall. Ce temps préparatoire, à l’extérieur, à la tombée de la nuit, constitue un sas avant l’entrée dans le premier hangar. Le parcours du public se dessine ensuite d’un espace à l’autre de la forge, guidé par les injonctions des interprètes. Les spectateur·trice·s découvrent des tableaux, des pantins, des écriteaux et architectures miniatures installés dans cet espace immense. À la rencontre de chaque saynète, une halte est faite pour permettre au groupe de lire, de contempler les œuvres ou d’assister à la performance des interprètes qui viennent animer l’installation plastique.
Or l’animation de ces œuvres sculpturales et picturales est produite par de tout autres moyens que la manipulation des objets. Les interprètes s’installent dans, sur, sous, une des sculptures, ou ne font même que l’éclairer. Il·elle·s profèrent des textes à la première personne. On associe alors librement ces voix aux corps-objets visibles ou à des spectres invisibles qui hanteraient l’espace de l’usine. Si les corps-rebuts des pantins avachis ne sont jamais réellement mis en mouvement, ce sont les gestes à l’entour, y compris ceux des spectateur·trice·s, qui animent leur immobilité. Alors que l’on pourrait voir une impressionnante presse en activité, seul un artifice lumineux produit en fait l’impression d’une matière incandescente tandis qu’une musique percussive corrobore l’effet d’un mouvement de la machine. Le déplacement manuel des lumières et la musique, improvisée en direct par la chanteuse Isabelle Duthoit et le musicien percussionniste Jacques Di Donato à partir des éléments présents dans la forge, favorisent la projection sur la matière immobile d’une forme de présence. Une présence qui fonctionne comme une aura pour les objets auxquels le public prête un regard renouvelé, extra-ordinaire.
François Lazaro dépasse donc le principe du « parler pour » qu’il avait déployé dans ces précédentes créations. Il s’inspire ici davantage d’une relation totémique aux objets. Il développe une forme d'animation explicitement artificielle, illusoire, mais non illusionniste : l’artifice est bien visible, c’est le cadre rituel qui permet son efficacité. Le metteur en scène revendique en cela une forme d’archaïsme dans l’animation des objets, un archaïsme qui rend central dans la dramaturgie le fait d’être assemblé·e·s dans un lieu, face à des objets, pour y projeter ensemble des histoires et y écouter des voix sans corps.
À la croisée de l’installation et du spectacle, François Lazaro met les spectateur·trice·s à l’écoute de la vie enclose dans les pantins de Marshall et de celle qui sourd des murs de l’usine.
1. Extrait de l'interview de François Lazaro par Julie Postel pour sa thèse (cf rubrique "Pour aller plus loin")