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Conclusion : la marionnette contemporaine
Evolution de la fonction rituelle
TJP - Centre dramatique National
d'Alsace - Strasbourg, 2006.
« En Afrique noire, les peuples restés très attachés à la tradition se servent encore des marionnettes, des statuettes et des masques comme support des pratiques rituelles telles que la conciliation et la conjuration des ancêtres, des génies, des esprits rôdeurs et des forces célestes. »(1)
L’utilisation des effigies et de la marionnette dans les rituels et plus généralement la fonction rituelle de la marionnette en elle-même est aujourd’hui encore bien présente en Afrique, même si elle ne prend pas nécessairement la même forme que ce que nous venons de voir.
Dans tous les cas, la marionnette, à travers le rite, a un impact sur la réalité de ceux qui la manipulent, mais aussi de ceux qui l’entourent. Son rôle rituel est aussi un rôle social, qui fait pleinement partie de la vie quotidienne du village et qui participe à la construction de l’identité des individus. La marionnette est impliquée à la fois dans les coutumes et les traditions de la société mais aussi dans l’évolution de l’individu au sein de cette société.
Malgré les attaques subies lors de déculturation de la colonisation, la marionnette africaine a survécu, même si ce n’est pas nécessairement sous la même forme qu’auparavant :
« Son langage et ses fonctions traditionnelles ont réussi à résister, à s'adapter, se transformer ou se réinventer face aux violents et profonds changements politiques, socio-économiques qui ont traversé et traversent la culture africaine contemporaine. »(2)
A partir des années 1980 environ, l'objet rituel est parfois sorti de son contexte pour être mis dans celui de la performance contemporaine et des représentations culturelles et donc dans un nouveau système de signification culturelle. Ainsi, Were Were Liking, marionnettiste camerounaise, travaille sur le théâtre rituel :
« Cette évolution de l’objet rituel iconique vers un nouveau système de signification culturelle en tant que medium de représentation a un grand potentiel pour la transformation et l'action sociale. »
La marionnette africaine devient alors rapidement un art pluridisciplinaire aussi bien dans sa forme – il mêle théâtre, danse, vidéo, etc – que dans ses influences – par exemple, William Kentridge en Afrique du Sud s’inspire du dadaïsme.
Désacralisation de la marionnette et ouverture à l'international
La marionnette africaine a été désacralisée par les marionnettistes africains eux-mêmes : on pense plus particulièrement ici à Danaye Kanlanfei, qui apporte l’articulation aux fétiches de son clan togolais à la suite d’un stage qu’il suit dans les années 1970 à Lomé (Togo), et fait ainsi connaître la marionnette africaine au niveau national et international.
« Au Togo, le maître de marionnettes Danaye Kanlanfei est le premier à avoir fait connaître la marionnette africaine au niveau national et international. Dieux, ancêtres divinisés, esprits protecteurs ou malfaisants, animaux mythiques, fantastiques habitent le monde du maître. Ses marionnettes sont les descendantes naturelles des Tchitchili de jadis (marionnettes sacrées ou petits dieux). En 1978, il crée la troupe Nationale de Marionnettes du Togo et rapidement, il multiplie stages, formations à l’étranger et rencontres internationales. »(3)
Photo Anita Bednarz, 2001.
Dans un premier temps, les troupes de théâtre de marionnettes africaines sont invitées à participer à des festivals internationaux afin de montrer les formes traditionnelles des marionnettes. Puis, au fil de leur évolution, elles viennent présenter des formes plus contemporaines. Cette ouverture a permis à certaines compagnies de collaborer avec des institutions internationales reconnues. Ainsi, la Handspring Puppet Company – compagnie d’Afrique du Sud qui a remis au goût du jour la marionnette pour adultes dans un pays où la colonisation avait fait de la marionnette un art destiné aux enfants – a vu son spectacle War Horse produit par le Royal National Theatre de Londres.
Les marionnettistes africains eux-mêmes travaillent au développement de festivals dédiés aux arts de la marionnette et aux formes associées. En 2005, Janni Younge crée Out the Box Festival, le premier festival dédié à la marionnette en Afrique du Sud, pour répondre au besoin d’une plateforme qui permettrait de développer le travail des marionnettistes professionnels et l’innovation dans les arts.
Autres rôles de la marionnette
Au-delà de son rôle rituel, la marionnette contemporaine en a d’autres – qui sont peut-être moins connus, mais pas pour autant nouveaux. Le divertissement, notamment, a une place très importante. Il est souvent lié à celui d’éducation, notamment dans les zones rurales : la marionnette permet d’enseigner l’hygiène, les techniques de l’agriculture, la vie en société, la sexualité, etc.
La marionnette joue également un rôle de dénonciation et de protestation contre les pouvoirs en place. Pour cela, elle se tourne vers des registres satiriques. Ainsi, William Kentridge s’empare du personnage d’Ubu comme symbole des dérives totalitaires. Dans son travail, il dénonce l’apartheid et parle de la décolonisation et du rôle de l’Afrique du Sud dans la Première guerre mondiale. Il passe par le prisme de l’histoire africaine pour montrer l’humanité dans son entièreté. Au contraire, la marionnette peut avoir un rôle de « fixation » de la paix. Chez certaines tribus, des spectacles sont donnés après la guerre. Les marionnettes permettent d'enseigner au peuple - et plus particulièrement aux enfants (voir les actions de Patience Bonheur Fayulu et de Djodjo Kazadi, Serge Amisi et Yaoundé Mulamba sur les enfants-soldats congolais) - à vivre en temps de paix et à guérir de ses traumatismes. On retrouve ici le rôle de médiation des effigies, cependant elle se fait ici, non pas entre les vivants et les esprits, mais entre le peuple et son gouvernement. Toutefois, elle facilite toujours la communication entre deux instances.
« Sur scène, le maître est la marionnette, elle est en lui, il est en elle. A deux, [le maître et la marionnette] entament toutes sortes de questions : la place de l’Homme dans son univers spatio-temporel, ses rapports avec les divinités ancestrales, la tradition et le modernisme, l’environnement, la démocratie, la corruption, l’immigration clandestine avec un certain humour. »(4)
Marionnette à fils du Togo.
Musées Gadagne.
Certains marionnettistes africains se servent de la marionnette pour sensibiliser les publics locaux et internationaux à des sujets sociétaux qu’ils ont pour but de faire changer. Patricia Gomis, marionnettiste sénégalaise, sensibilise à travers son spectacle Petit bout de bois à la condition des enfants mendiants dans le but de les rendre visible et de le faire sortir de la rue. Localement, les marionnettistes jouent dans les écoles, les hôpitaux, les centres sociaux culturels, les orphelinats, etc. A l’international, ils sont invités à jouer dans des centres culturels, dans des festivals. La marionnette est un bon medium car elle permet « d’aborder des sujets graves en diminuant la charge émotionnelle » (Patricia Gomis).
Les marionnettistes eux-mêmes sont attentifs aux sujets auxquels ils sensibilisent leur public. Ainsi, ils sont nombreux à pratiquer la récupération de matériaux pour la construction de leurs marionnettes.
Formation des marionnettistes
Nombre de compagnies et d’associations africaines participent activement à la formation des jeunes marionnettistes. Certaines d’entre elles ont imaginé des outils pour les accompagner : Were-Were Liking a mis en place dès les années 1980 un système de formation inspiré des initiations africaines ; la Handspring Puppet Company a créé l’organisation à but non lucratif The Handspring Trust for Puppetry Arts, dont l’une des missions est d’initier des projets éducatifs utilisant la marionnette dans le but d’enseigner l’expression artistique aux jeunes gens ; l’association Djarama travaille à la création d’une « Filière de la marionnette au Sénégal » pour que la marionnette soit enseignée à l’Ecole Nationale des Arts de Dakar ; au Burkina Faso, Yacouba Magassouba forme des femmes au métier de marionnettiste.
- DUMA-NGO, Malutama, L’univers des objets animés et de la marionnette en Afrique subsaharienne, Louvain-la-Neuve : Centre d’études théâtrales, 1987 dans DARKOWSKA-NIDZGORSKI, Olenka, Cahiers de l’ADEIAO, n° 13, Tchitchili Tsitsawi : marionnettes d’Afrique, Paris : Editions ADEIAO, 1996
- BEDNARZ, Anita, La Marionnette africaine, tradition et modernité [en ligne], 2020, URL : https://www.marionnettes-afrique.com/
- Ibid.
- Ibid.
Conclusion : la marionnette contemporaine
Evolution de la fonction rituelle
TJP - Centre dramatique National
d'Alsace - Strasbourg, 2006.
« En Afrique noire, les peuples restés très attachés à la tradition se servent encore des marionnettes, des statuettes et des masques comme support des pratiques rituelles telles que la conciliation et la conjuration des ancêtres, des génies, des esprits rôdeurs et des forces célestes. »(1)
L’utilisation des effigies et de la marionnette dans les rituels et plus généralement la fonction rituelle de la marionnette en elle-même est aujourd’hui encore bien présente en Afrique, même si elle ne prend pas nécessairement la même forme que ce que nous venons de voir.
Dans tous les cas, la marionnette, à travers le rite, a un impact sur la réalité de ceux qui la manipulent, mais aussi de ceux qui l’entourent. Son rôle rituel est aussi un rôle social, qui fait pleinement partie de la vie quotidienne du village et qui participe à la construction de l’identité des individus. La marionnette est impliquée à la fois dans les coutumes et les traditions de la société mais aussi dans l’évolution de l’individu au sein de cette société.
Malgré les attaques subies lors de déculturation de la colonisation, la marionnette africaine a survécu, même si ce n’est pas nécessairement sous la même forme qu’auparavant :
« Son langage et ses fonctions traditionnelles ont réussi à résister, à s'adapter, se transformer ou se réinventer face aux violents et profonds changements politiques, socio-économiques qui ont traversé et traversent la culture africaine contemporaine. »(2)
A partir des années 1980 environ, l'objet rituel est parfois sorti de son contexte pour être mis dans celui de la performance contemporaine et des représentations culturelles et donc dans un nouveau système de signification culturelle. Ainsi, Were Were Liking, marionnettiste camerounaise, travaille sur le théâtre rituel :
« Cette évolution de l’objet rituel iconique vers un nouveau système de signification culturelle en tant que medium de représentation a un grand potentiel pour la transformation et l'action sociale. »
La marionnette africaine devient alors rapidement un art pluridisciplinaire aussi bien dans sa forme – il mêle théâtre, danse, vidéo, etc – que dans ses influences – par exemple, William Kentridge en Afrique du Sud s’inspire du dadaïsme.
Désacralisation de la marionnette et ouverture à l'international
La marionnette africaine a été désacralisée par les marionnettistes africains eux-mêmes : on pense plus particulièrement ici à Danaye Kanlanfei, qui apporte l’articulation aux fétiches de son clan togolais à la suite d’un stage qu’il suit dans les années 1970 à Lomé (Togo), et fait ainsi connaître la marionnette africaine au niveau national et international.
« Au Togo, le maître de marionnettes Danaye Kanlanfei est le premier à avoir fait connaître la marionnette africaine au niveau national et international. Dieux, ancêtres divinisés, esprits protecteurs ou malfaisants, animaux mythiques, fantastiques habitent le monde du maître. Ses marionnettes sont les descendantes naturelles des Tchitchili de jadis (marionnettes sacrées ou petits dieux). En 1978, il crée la troupe Nationale de Marionnettes du Togo et rapidement, il multiplie stages, formations à l’étranger et rencontres internationales. »(3)
Photo Anita Bednarz, 2001.
Dans un premier temps, les troupes de théâtre de marionnettes africaines sont invitées à participer à des festivals internationaux afin de montrer les formes traditionnelles des marionnettes. Puis, au fil de leur évolution, elles viennent présenter des formes plus contemporaines. Cette ouverture a permis à certaines compagnies de collaborer avec des institutions internationales reconnues. Ainsi, la Handspring Puppet Company – compagnie d’Afrique du Sud qui a remis au goût du jour la marionnette pour adultes dans un pays où la colonisation avait fait de la marionnette un art destiné aux enfants – a vu son spectacle War Horse produit par le Royal National Theatre de Londres.
Les marionnettistes africains eux-mêmes travaillent au développement de festivals dédiés aux arts de la marionnette et aux formes associées. En 2005, Janni Younge crée Out the Box Festival, le premier festival dédié à la marionnette en Afrique du Sud, pour répondre au besoin d’une plateforme qui permettrait de développer le travail des marionnettistes professionnels et l’innovation dans les arts.
Autres rôles de la marionnette
Au-delà de son rôle rituel, la marionnette contemporaine en a d’autres – qui sont peut-être moins connus, mais pas pour autant nouveaux. Le divertissement, notamment, a une place très importante. Il est souvent lié à celui d’éducation, notamment dans les zones rurales : la marionnette permet d’enseigner l’hygiène, les techniques de l’agriculture, la vie en société, la sexualité, etc.
La marionnette joue également un rôle de dénonciation et de protestation contre les pouvoirs en place. Pour cela, elle se tourne vers des registres satiriques. Ainsi, William Kentridge s’empare du personnage d’Ubu comme symbole des dérives totalitaires. Dans son travail, il dénonce l’apartheid et parle de la décolonisation et du rôle de l’Afrique du Sud dans la Première guerre mondiale. Il passe par le prisme de l’histoire africaine pour montrer l’humanité dans son entièreté. Au contraire, la marionnette peut avoir un rôle de « fixation » de la paix. Chez certaines tribus, des spectacles sont donnés après la guerre. Les marionnettes permettent d'enseigner au peuple - et plus particulièrement aux enfants (voir les actions de Patience Bonheur Fayulu et de Djodjo Kazadi, Serge Amisi et Yaoundé Mulamba sur les enfants-soldats congolais) - à vivre en temps de paix et à guérir de ses traumatismes. On retrouve ici le rôle de médiation des effigies, cependant elle se fait ici, non pas entre les vivants et les esprits, mais entre le peuple et son gouvernement. Toutefois, elle facilite toujours la communication entre deux instances.
« Sur scène, le maître est la marionnette, elle est en lui, il est en elle. A deux, [le maître et la marionnette] entament toutes sortes de questions : la place de l’Homme dans son univers spatio-temporel, ses rapports avec les divinités ancestrales, la tradition et le modernisme, l’environnement, la démocratie, la corruption, l’immigration clandestine avec un certain humour. »(4)
Marionnette à fils du Togo.
Musées Gadagne.
Certains marionnettistes africains se servent de la marionnette pour sensibiliser les publics locaux et internationaux à des sujets sociétaux qu’ils ont pour but de faire changer. Patricia Gomis, marionnettiste sénégalaise, sensibilise à travers son spectacle Petit bout de bois à la condition des enfants mendiants dans le but de les rendre visible et de le faire sortir de la rue. Localement, les marionnettistes jouent dans les écoles, les hôpitaux, les centres sociaux culturels, les orphelinats, etc. A l’international, ils sont invités à jouer dans des centres culturels, dans des festivals. La marionnette est un bon medium car elle permet « d’aborder des sujets graves en diminuant la charge émotionnelle » (Patricia Gomis).
Les marionnettistes eux-mêmes sont attentifs aux sujets auxquels ils sensibilisent leur public. Ainsi, ils sont nombreux à pratiquer la récupération de matériaux pour la construction de leurs marionnettes.
Formation des marionnettistes
Nombre de compagnies et d’associations africaines participent activement à la formation des jeunes marionnettistes. Certaines d’entre elles ont imaginé des outils pour les accompagner : Were-Were Liking a mis en place dès les années 1980 un système de formation inspiré des initiations africaines ; la Handspring Puppet Company a créé l’organisation à but non lucratif The Handspring Trust for Puppetry Arts, dont l’une des missions est d’initier des projets éducatifs utilisant la marionnette dans le but d’enseigner l’expression artistique aux jeunes gens ; l’association Djarama travaille à la création d’une « Filière de la marionnette au Sénégal » pour que la marionnette soit enseignée à l’Ecole Nationale des Arts de Dakar ; au Burkina Faso, Yacouba Magassouba forme des femmes au métier de marionnettiste.
- DUMA-NGO, Malutama, L’univers des objets animés et de la marionnette en Afrique subsaharienne, Louvain-la-Neuve : Centre d’études théâtrales, 1987 dans DARKOWSKA-NIDZGORSKI, Olenka, Cahiers de l’ADEIAO, n° 13, Tchitchili Tsitsawi : marionnettes d’Afrique, Paris : Editions ADEIAO, 1996
- BEDNARZ, Anita, La Marionnette africaine, tradition et modernité [en ligne], 2020, URL : https://www.marionnettes-afrique.com/
- Ibid.
- Ibid.
Interview de Were Were Liking (extrait)
Interview réalisée le 16 mars 2016 au Pôle International de la Marionnette.
Vidéo Aurélie Bonamy.