Pensez à vous connecter pour un accès à toutes les ressources et fonctionnalités.
Créez votre panier, organisez vos documents en listes et retrouvez-les lors de votre prochaine connexion.
- Accueil
- Dossiers thématiques
- Parcours croisé franco-québécois : Des coproductions, des co-créations de part et d'autre de l'Atlantique : retours d'expériences ; Celle qui marche loin, 2019 - Ombres Folles (Québec) et RoiZIZO théâtre (France)
- Entretien avec Gildwen Peronno du RoiZIZO théâtre, mené par Evelyne Lecucq en mai 2024
Entretien avec Gildwen Peronno du RoiZIZO théâtre, mené par Evelyne Lecucq en mai 2024
Evelyne Lecucq : Votre compagnie bretonne a coproduit le spectacle Celle qui marche loin avec une compagnie québécoise. Comment vous êtes-vous connus ?
Gildwen Peronno : Nos deux compagnies utilisent le théâtre d’ombres. J’ai rencontré Maude et, par le même biais, sa compagnie Ombres Folles en 2012, lors d’un stage sur le théâtre d’ombres, dirigé par Fabrizio Montecchi, à l’Institut International de la Marionnette. Dans ce cadre, nous nous sommes retrouvés à devoir travailler ensemble. Sur le ton de la blague, nous nous sommes dit à la fin du stage que nous pourrions faire quelque chose en commun sur le plan artistique.
Extrait de la présentation de fin de stage mise en scène et interprétée par Maude Gareau, Anna Ingleby, Gildwen Peronno et Marie Wacker. Dans cette scène : Le Putch d’Ubu d’après Ubu Roi d’Alfred Jarry, les figurines d’ombres sont manipulées à vue et des lumières colorées sont projetées sur un drapeau qui devient donc l’écran de ce théâtre d’ombres.
Par la suite, je suis allé jouer au Canada et j’ai pensé : « Qui est-ce que je connais là-bas ? Maude Gareau. » Je l’ai appelée avec l’idée de rencontrer également d’autres comédiens et comédiennes sur place. Elle a vu mon spectacle, Guichet des anonymes, elle l’a beaucoup apprécié, et on a évoqué une deuxième fois la perspective de monter un spectacle ensemble. En 2015, nous nous sommes donné rendez-vous au festival mondial de Charleville-Mézières. C’est là que nous avons vraiment commencé à poser les bases de ce travail.
EL : Est-ce que le spectacle que vous avez joué au Canada contenait des ombres ?
GP : Non, il n’y avait pas d’ombre. C’était un mélange de petite marionnette portée et de marionnette sur table - des marionnettes de vingt centimètres - et beaucoup de théâtre d’objet.
EL : Vous vous êtes rencontrés à partir de votre goût commun pour l’ombre, mais dans Celle qui marche loin, je n’ai pas vu d’ombres…
GP : Non, il n’y en a pas [rires]. À la suite du stage, j’avais mis en scène un spectacle de théâtre d’ombres… mais mon cœur balançait avec le théâtre d’objets et j’ai davantage pratiqué cette autre forme par la suite. C’est là-dessus qu’on est partis avec Maude dans notre choix d’écriture et de médium.
EL : D’où est née l'idée de Celle qui marche loin, au sujet très canadien ?
GP : Nous nous sommes dit que nous allions partir d’un point commun. Ce point commun était l’Histoire, notamment celle qui évoque les colons arrivant sur le territoire américain. Il y a un roman que j’aime beaucoup : Dans le grand cercle du monde de Joseph Boyden. Il parle d’un Breton qui arrive pour la première fois dans la communauté des Iroquois et des premiers contacts qui ont eu lieu sur place.
Cette question, notamment le thème des peuples autochtones, intéressait aussi Maude du fait de son origine canadienne, particulièrement pour ce que l’on appelle “La Réconciliation”. Pour elle, c’était une manière de contribuer à cette réconciliation-là, montrer que les peuples autochtones ont existé avant l’arrivée des colons. J’ai une formation d'anthropologue, ces questions m’intriguent beaucoup et la colonisation a commencé très tôt. Voilà pourquoi on s’est retrouvés, Maude et moi, sur ce thème-là.
EL : Tout a donc commencé par une histoire réelle ?
GP : Oui. Nous sommes allés à la recherche de différentes histoires possibles pour la création du spectacle. Maude a mis sur la table un livre de l'anthropologue Serge Bouchard qui a travaillé à Radio Canada. Dans cette idée de ré-explorer l’Histoire, il a souhaité raconter la vie de certaines personnes oubliées. Il a créé tout une série, De remarquables oubliés, traitant notamment de femmes laissées pour compte par la Grande Histoire.
Comme on le dit dans notre spectacle, l’Histoire est souvent celle des vainqueurs, celle des blancs et celle des hommes. Nous avons pris le contrepied : évoquer une personne dont on a ignoré l’histoire, autochtone et femme. Serge Bouchard nous a mis sur la piste d’une femme, parmi tant d’autres, qui s’appelle Marie Iowa Dorion. Ce récit contenait tous les éléments qu’on souhaitait : un grand périple, un destin extraordinaire, une femme autochtone. On a décidé de l’adapter en théâtre d’objet.
EL : Avec des Sioux en personnages principaux.
GP : Marie est siouse et iowa d’origine. Il y a peu de traces écrites, beaucoup d’informations sur ces personnes se sont perdues mais, concernant Marie, nous avons eu la chance que quelqu'un qui l'a rencontrée ait retracé les grandes lignes de son existence.
EL : Il est mentionné que le personnage de Pierre est un Sioux-Français. Qu’est-ce que ça signifie ?
GP : Un certain nombre d’Européens sont partis faire du commerce avec les nations. Beaucoup de Français sont partis vivre dans les bois, il y a eu de nombreux échanges et métissages à ce moment-là de l’Histoire. Notre personnage est issu d’un métissage entre Français et Sioux.
"L'équipe de Celle qui marche loin au festival de marionnette de Saguenay", postée le 12 août 2019. A droite, photographie
légendée "[Résidence - coprod - internationale"] Il se passe des choses étranges à Ville Lasalle.", postée le 7 juin 2018.
EL : Sans être vous-mêmes autochtones, vous avez abordé un volet important du passé.
GP : Nous nous sommes demandé comment traiter ce sujet sensible dans un spectacle, car notre processus d’écriture se faisait au moment où Kanata, monté par Robert Lepage avec le Théâtre du Soleil, avait provoqué un véritable tollé. L’une des pistes que l’on a explorées pour y répondre est d’utiliser comme médium le théâtre d’objets, ce qui a permis de mettre une certaine distance avec le fait de « parler à la place de ».
EL : Donc, plutôt l’évocation ?
GP : C’est tout le débat : qu’est-ce qu’on peut dire ou ne pas dire ? Par rapport à l'appropriation culturelle, je n’ai que des questions, pas de réponses. Nous avons eu la chance de travailler avec le metteur en scène et artiste plasticien Jacques Newashish, qui nous a accompagnés dans la création du spectacle en tant que regard extérieur, notamment sur la subtilité dans l’appréhension de ces questionnements-là. Il fait partie de la communauté des Attikameks.
« Comment on nomme les choses » est également un point très délicat. Concernant les peuples autochtones, cela peut passer pour un propos quasiment raciste de dire « indien ». Je me suis posé la question de l’appellation « peuple autochtone » lorsque je suis intervenu auprès d’enfants de CM2 en France. Si l’on dit « les peuples autochtones, c’est les Indiens », tout de suite les enfants comprennent…
EL : Les peuples autochtones sont divers…
GP : Oui, des peuples autochtones, il y en a partout. Mais effectivement on dit « les peuples premiers » ou « les peuples autochtones ». Il y a des centaines de peuples différents en Amérique du Nord et en Amérique du Sud. On peut parler d’« Autochtones première nation » mais « première nation » ne résonne pas en France. On ne sait même pas que c’est un sujet extrêmement sensible en Amérique.
institutionnel de la compagnie Ombres Folles
EL : Il a besoin d’être mieux connu ici. Est-ce que Celle qui marche loin va continuer de tourner en France ?
GP : On sent qu'on est un peu sur la fin. C'est un spectacle qui a beaucoup tourné dans les réseaux marionnettes. Il est sorti en 2019 et il a survécu au Covid, ce qui était très compliqué pour un spectacle international. On a eu un arrêt pendant un an et demi, avec de très grosses difficultés pour voyager et travailler à l'étranger.
Nous avons pu le jouer dans les grands festivals de marionnettes français. Et un peu en Bretagne parce que c'est la région d'où on vient. Force est de constater qu'on n’a pas réussi à ouvrir le spectacle à d'autres réseaux. Le Covid a fait son travail de sape parce que les programmateurs pensent : « C'est un spectacle qui est un peu ancien ».
le 1er août 2019.
Il a tout de même été montré davantage au Canada. On a fait de grands festivals et de très belles salles pour jeunes publics également. On a fêté récemment la centième. Donc, on est quand même fiers et contents d'avoir réussi à aller jusque-là.
le 27 février 2018.
EL : Est-ce que le public réagit différemment au Québec et en France ?
GP : Oui. Nous nous sommes demandé pourquoi le spectacle se diffusait un peu moins bien en France qu'au Canada. Avec le temps et le recul, je pense que la question de la colonisation et de la Nouvelle France est plus proche des Canadiens.
La question de la Nouvelle France est très peu abordée dans les programmes scolaires en France. Si on en parle, personne ne sait de quoi il s’agit. Alors qu’au Canada, tout le monde est bien renseigné.
web institutionnel de la compagnie Ombres Folles
web institutionnel de la compagnie Ombres Folles
EL : Selon vous, le spectacle est pour tout public ou pour le jeune public ?
GP : Nous l’avons plutôt imaginé comme un spectacle familial, à partir de sept ans. Nous proposons à de nombreux moments des espaces de double lecture, des apartés où les enfants vont comprendre quelque chose, et les adultes percevoir autre chose. Nous nous sommes amusés avec cette interrogation : « qu’est-ce que nous, Français, connaissons de l’histoire américaine ? », et vice versa. Par exemple, c’est assez rigolo de se dire que les Français pensent surtout à la Ruée vers l’or. C’est dans notre imaginaire collectif. Mon personnage, qui est un Français, joue donc dans ses petits apartés sur la méconnaissance et les a priori culturels.
EL : Comment s’est déroulé votre processus d’écriture ? Est-ce que vous avez écrit en tandem ?
GP : Une des particularités de l'écriture, c'est qu'elle s'est faite à la fois sur des temps en commun, par le biais de résidences artistiques, et de manière intercontinentale, avec Internet qui nous a servi d’outil pour échanger sur le texte.
L’écriture a commencé par une résidence au cours de laquelle nous étions accompagnés par Jérémie Desbiens qui fait partie de la compagnie Ombres Folles et vient du théâtre d’objets. Nous l’avons invité pour tenter de défricher ensemble quelles étaient nos envies, à Maude et moi, en matière d’histoire. Lorsque nous avons pu définir ce qui nous plaisait et ce qui nous plaisait moins dans tout ce que nous avions récolté, ce qu’il fallait conserver ou laisser, nous n’avons gardé qu’une seule des histoires. Il a fallu réadapter le texte, définir les grandes étapes de ce que nous allions raconter. Parallèlement, des petites scènes de théâtre d’objets sont apparues. Nous nous sommes également demandé comment écrire notre partition de conteur.
"[Coprod Bretagne] Petite spirale d'objets pour éveiller la créativité", postée le 12 février 2018. A droite, photographie
non légendée, postée le 27 septembre 2018
sommes hébergés dans la Maison des Confesseurs", postée le 4 septembre 2018. A droite, photographiée légendée
"Gildwen et le shack en bois !", postée le 6 février 2018
marche loin présente au Dôme de Saint-Avé", postée le 28 novembre 2018. A droite, photographie légendée "Gildwen et le
monde de Risk", postée le 7 juin 2018
EL : Quel a été le rôle de Jérémie Desbiens ?
GP : Nous ne voulions pas, Maude et moi, être dans un tête-à-tête pour l’écriture. Au démarrage, nous avions parfois du mal à nous comprendre. Cela était dû à une forme de barrière culturelle. Nous étions partis de l'a priori que, étant tous deux francophones, il serait aisé de communiquer, or nous nous sommes aperçus que nous n’interprétions pas de la même manière certains éléments de langage. La création a eu ensuite un bon rythme de développement. Nous avions un objectif clair et nous sommes allés assez vite dans le vif du sujet.
EL : Lors du travail de recherche artistique, comment a émergé un vocabulaire commun de création ?
GP : Nous avons la chance d’avoir été formés dans des écoles similaires. J’ai passé beaucoup de temps avec le Théâtre de Cuisine et Maude auprès d’Agnès Limbos. Cela reste des univers assez proches. Lors des premières semaines de création, nous avons mis à plat un petit vocabulaire de travail, un vocabulaire qui nous plaisait bien et qui nous était propre.
Nous avions également la même envie de voir se développer certaines scènes de théâtre d’objets. Parmi une trentaine d’images que nous avions mises en commun, nous en avions sélectionné une dizaine. Ce qui est assez drôle, c’est que Maude et moi avons sélectionné les dix mêmes images. Nous étions plutôt raccords.
EL : Quelles sont les difficultés d’une coproduction ou co-création qui se fait de part et d’autre de l’océan Atlantique, avec cette grande distance géographique ?
GP : Je dirais que la plus grande difficulté est de se perdre dans le temps et dans l’espace. Je pense que si l’on avait créé sur une période de deux ans et demi, nous aurions perdu le fil de la création.
Les enjeux de la production ne sont également pas les mêmes en France et au Canada. Ils peuvent induire des besoins et des envies différentes. Si je prends le cas de figure de compagnies où il y a des déséquilibres dans le temps de travail que chacune peut apporter sur un projet commun, selon si les artistes peuvent prétendre à l'intermittence ou non, cela peut être une donne assez difficile à gérer.
Dans notre cas, au niveau production, les deux compagnies ont amené la même somme d’argent. C’est important.
Ensuite il y a la donnée culturelle qu’il faut prendre en compte dans les échanges créatifs. Nous n’avons pas le même pattern de création. Il faut prendre le temps de bien communiquer.
institutionnel de la compagnie Ombres Folles
EL : Comment se gère la question des voyages pour les temps de création ?
GP : La principale difficulté est au niveau de la production. Il faut trouver de part et d’autre le maximum de partenaires pour financer la création. Par exemple, nous sommes allés voir l’Institut français région Bretagne. Ils nous ont financé le voyage en tant que projet de recherche et de création au Canada.
RoiZIZO Théâtre, publié le 25 mars 2019
Ce qui coûte le plus cher est le billet d’avion. A minima, il faut sept cent euros pour se voir et travailler ensemble, Maude et moi. J’ai une mémoire sélective qui fait que j’ai tendance à oublier les événements plus compliqués [rires] mais il y a également les questions de logement par exemple.
EL : Seriez-vous prêt à recommencer l’expérience d’une co-création avec une compagnie québécoise ? Ou avec une compagnie d’un autre pays ?
GP : Je pense que c’est une étape dans la vie d’une compagnie, et pour moi c’est une étape dans ma vie d’acteur. L’idée de l’international me colle à la peau depuis mes études. Je suis très content de l’avoir fait. Cela a bien fonctionné, donc je considère que c’est une réussite malgré de véritables difficultés au niveau de la production : jongler avec des monnaies différentes, des calendriers d’appels à projets différents… C’est une véritable gymnastique quand même.
L’avantage de notre collaboration avec Maude, c’est que nous avons été dans une logique de partage, aussi bien dans la création, que sur des aspects de production et de mutualisation de réseaux.
Autre chose notable, nous avons reçu des aides financières du Québec un an et demi avant de les avoir en France, en ayant pourtant déposé le même dossier…
Par ailleurs, l’idée de faire se croiser les publics et les programmateurs était très intéressante. Par exemple, j’ai parlé du festival Théâtre à tout âge de Quimper à un théâtre jeune public du Québec qui s’appelle Maison Théâtre. Cela permet de créer des liens entre institutions.
J’aimerais beaucoup retenter l'expérience. Peut-être que je reviendrai vers le Canada, mais je pense qu’il est aussi intéressant de travailler avec d’autres régions ou d’autres pays. En jouant des spectacles différents du RoiZIZO au Québec, j’ai rencontré tout récemment une délégation qui venait de l’Ontario… Je vais également essayer d’aller à Chicago l’année prochaine, dans le cadre d’un festival des arts de la marionnette. Je suis très curieux de voir comment cela fonctionne aux Etats-Unis.
Parmi les avantages de travailler avec une compagnie d’un autre pays, je trouve très enrichissant de voir comment ça se passe ailleurs, comment d’autres artistes vivent de leur métier. Avec Maude, nous avons pensé les choses sur un mode de partage. Le RoiZIZO Théâtre partageait son réseau français, et la compagnie de Maude partageait son réseau au Québec. Cela a permis d’ouvrir la porte de certains festivals en France et au Québec pour nos deux compagnies. Plus largement, je trouve beau de développer des amitiés entre compagnies.
Un autre aspect fondamental, je vais le dire un peu crûment, c’est celui de l’argent. Il faut que le rapport avec nos collaborateurs au niveau économique soit sain, autrement, je pense que cela peut vite poser problème. Avec Maude, nous avons pris la décision d’être transparents à ce sujet tout de suite. Je me suis dit : « Heureusement que c’est transparent, sinon cela aurait pu mettre de l’eau dans le gaz ».
EL : C’est un point relevé par chaque compagnie avec laquelle j’ai pu échanger. Au Québec, il n’y a pas de fausse pudeur pour parler argent. Il fait partie des outils pour créer.
GP : Effectivement j’ai trouvé cela sain. Je l’ai mis sur le compte des qualités de productrice de Maude et de la gestion de la production de ma compagnie. Nous nous étions même engagés, s’il y avait des déficits, à savoir comment on allait régler les problèmes. Nous avions émis toutes les hypothèses en amont.
de diffusion du spectacle Celle qui marche loin, disponible
sur le site de la compagnie Le RoiZIZO.
Lorsqu’un spectacle tourne, il y a de l’argent qui rentre. Mais parfois les choses peuvent devenir plus compliquées sur la fin. Par exemple, l'organisme Spectacle Vivant en Bretagne nous a dit : « On arrête, on n’est pas là pour subventionner chaque voyage au Canada ». Donc, c’est un peu plus dur de boucler.
EL : Est-ce que cela va vous amener à mettre en place un doublon de spectacle côté Québec et côté France ? C’est-à-dire, que vous travaillez sur ce spectacle avec un partenaire français, et Maude avec un partenaire Québécois ?
GP : C’est une question que l’on a émise, et qui est même à l’ordre du jour. On s’était déjà posé la question pendant le Covid. Ce qui est compliqué, c’est que l’on joue les personnages d’un Français et d’une Québécoise et c’est vraiment notre duo…
Pour l’année prochaine, il y a quelques incompatibilités de calendriers que l’on n’arrive pas à régler. Cela nous invite à nous poser la question : si l’on faisait un doublon de spectacle ? L’un tournant en France et l’autre au Québec.
Au niveau de la diffusion, on essaie d’être le plus logique possible en groupant les dates à un endroit géographique ou à un autre. Nous avons beaucoup de mal à le faire en France, et plus de facilité à le faire au Canada. Il y a tout de même des fois où il y a des dates isolées.
C’est aussi un problème pour notre bilan écologique. Cela nous questionne beaucoup. Venir au Canada pour trois dates, est-ce que c’est bien ? Donc, on réfléchit pour mettre en place une logique de doublon de spectacle pour certaines dates.
Dans le pedigree du spectacle, Maude avait l’idée de le jouer au sein des communautés [autochtones].
Ombres Folles, publié le 7 août 2019.
Les écoles et les centres communautaires ont des calendriers définis seulement six à trois mois à l’avance. Cela serait certainement plus simple d’avoir un comédien qui me remplace habitant au Canada, pour pouvoir se dire : « Tiens on a une proposition pour jouer dans deux mois, c’est possible ! ».
Il y a aussi des différences au niveau des droits de reprise d’un rôle au Québec. La personne qui reprend un rôle doit avoir l’exclusivité de toutes les dates qui vont être jouées au Québec ensuite. Cela pose donc de nouvelles questions.
EL : Pour conclure, que conseillerez-vous à une compagnie qui souhaiterait faire une coproduction avec le Québec ? A quels éléments faut-il faire attention ?
GP : L’une des questions essentielles est : quel modèle choisir ? Est-ce que c’est un spectacle co-créé, mais produit par une seule compagnie ? Cela peut avoir un impact sur le type d’échange. Il est important de comprendre les tenants et les aboutissants de cette différence-là.
Une autre des difficultés, c’est de se perdre dans les méandres administratifs internationaux. Une coproduction est complexe. Bien s’entourer est nécessaire. L’artistique doit rester au centre.
de diffusion du spectacle Celle qui marche loin, disponible
sur le site de la compagnie Le RoiZIZO.
Dans notre cas, nous avons pensé les choses en équilibre : deux regards extérieurs, deux chargés de diffusion, deux créateurs/compositeurs/régisseurs… à chaque fois en France et au Québec. Donc bien s’entourer pour que tout le monde se comprenne bien.
Lorsque j’ai cherché à monter une coproduction internationale, j’ai trouvé peu d’informations là-dessus. Ce savoir doit être transmis.
Entretien avec Gildwen Peronno du RoiZIZO théâtre, mené par Evelyne Lecucq en mai 2024
Evelyne Lecucq : Votre compagnie bretonne a coproduit le spectacle Celle qui marche loin avec une compagnie québécoise. Comment vous êtes-vous connus ?
Gildwen Peronno : Nos deux compagnies utilisent le théâtre d’ombres. J’ai rencontré Maude et, par le même biais, sa compagnie Ombres Folles en 2012, lors d’un stage sur le théâtre d’ombres, dirigé par Fabrizio Montecchi, à l’Institut International de la Marionnette. Dans ce cadre, nous nous sommes retrouvés à devoir travailler ensemble. Sur le ton de la blague, nous nous sommes dit à la fin du stage que nous pourrions faire quelque chose en commun sur le plan artistique.
Extrait de la présentation de fin de stage mise en scène et interprétée par Maude Gareau, Anna Ingleby, Gildwen Peronno et Marie Wacker. Dans cette scène : Le Putch d’Ubu d’après Ubu Roi d’Alfred Jarry, les figurines d’ombres sont manipulées à vue et des lumières colorées sont projetées sur un drapeau qui devient donc l’écran de ce théâtre d’ombres.
Par la suite, je suis allé jouer au Canada et j’ai pensé : « Qui est-ce que je connais là-bas ? Maude Gareau. » Je l’ai appelée avec l’idée de rencontrer également d’autres comédiens et comédiennes sur place. Elle a vu mon spectacle, Guichet des anonymes, elle l’a beaucoup apprécié, et on a évoqué une deuxième fois la perspective de monter un spectacle ensemble. En 2015, nous nous sommes donné rendez-vous au festival mondial de Charleville-Mézières. C’est là que nous avons vraiment commencé à poser les bases de ce travail.
EL : Est-ce que le spectacle que vous avez joué au Canada contenait des ombres ?
GP : Non, il n’y avait pas d’ombre. C’était un mélange de petite marionnette portée et de marionnette sur table - des marionnettes de vingt centimètres - et beaucoup de théâtre d’objet.
EL : Vous vous êtes rencontrés à partir de votre goût commun pour l’ombre, mais dans Celle qui marche loin, je n’ai pas vu d’ombres…
GP : Non, il n’y en a pas [rires]. À la suite du stage, j’avais mis en scène un spectacle de théâtre d’ombres… mais mon cœur balançait avec le théâtre d’objets et j’ai davantage pratiqué cette autre forme par la suite. C’est là-dessus qu’on est partis avec Maude dans notre choix d’écriture et de médium.
EL : D’où est née l'idée de Celle qui marche loin, au sujet très canadien ?
GP : Nous nous sommes dit que nous allions partir d’un point commun. Ce point commun était l’Histoire, notamment celle qui évoque les colons arrivant sur le territoire américain. Il y a un roman que j’aime beaucoup : Dans le grand cercle du monde de Joseph Boyden. Il parle d’un Breton qui arrive pour la première fois dans la communauté des Iroquois et des premiers contacts qui ont eu lieu sur place.
Cette question, notamment le thème des peuples autochtones, intéressait aussi Maude du fait de son origine canadienne, particulièrement pour ce que l’on appelle “La Réconciliation”. Pour elle, c’était une manière de contribuer à cette réconciliation-là, montrer que les peuples autochtones ont existé avant l’arrivée des colons. J’ai une formation d'anthropologue, ces questions m’intriguent beaucoup et la colonisation a commencé très tôt. Voilà pourquoi on s’est retrouvés, Maude et moi, sur ce thème-là.
EL : Tout a donc commencé par une histoire réelle ?
GP : Oui. Nous sommes allés à la recherche de différentes histoires possibles pour la création du spectacle. Maude a mis sur la table un livre de l'anthropologue Serge Bouchard qui a travaillé à Radio Canada. Dans cette idée de ré-explorer l’Histoire, il a souhaité raconter la vie de certaines personnes oubliées. Il a créé tout une série, De remarquables oubliés, traitant notamment de femmes laissées pour compte par la Grande Histoire.
Comme on le dit dans notre spectacle, l’Histoire est souvent celle des vainqueurs, celle des blancs et celle des hommes. Nous avons pris le contrepied : évoquer une personne dont on a ignoré l’histoire, autochtone et femme. Serge Bouchard nous a mis sur la piste d’une femme, parmi tant d’autres, qui s’appelle Marie Iowa Dorion. Ce récit contenait tous les éléments qu’on souhaitait : un grand périple, un destin extraordinaire, une femme autochtone. On a décidé de l’adapter en théâtre d’objet.
EL : Avec des Sioux en personnages principaux.
GP : Marie est siouse et iowa d’origine. Il y a peu de traces écrites, beaucoup d’informations sur ces personnes se sont perdues mais, concernant Marie, nous avons eu la chance que quelqu'un qui l'a rencontrée ait retracé les grandes lignes de son existence.
EL : Il est mentionné que le personnage de Pierre est un Sioux-Français. Qu’est-ce que ça signifie ?
GP : Un certain nombre d’Européens sont partis faire du commerce avec les nations. Beaucoup de Français sont partis vivre dans les bois, il y a eu de nombreux échanges et métissages à ce moment-là de l’Histoire. Notre personnage est issu d’un métissage entre Français et Sioux.
"L'équipe de Celle qui marche loin au festival de marionnette de Saguenay", postée le 12 août 2019. A droite, photographie
légendée "[Résidence - coprod - internationale"] Il se passe des choses étranges à Ville Lasalle.", postée le 7 juin 2018.
EL : Sans être vous-mêmes autochtones, vous avez abordé un volet important du passé.
GP : Nous nous sommes demandé comment traiter ce sujet sensible dans un spectacle, car notre processus d’écriture se faisait au moment où Kanata, monté par Robert Lepage avec le Théâtre du Soleil, avait provoqué un véritable tollé. L’une des pistes que l’on a explorées pour y répondre est d’utiliser comme médium le théâtre d’objets, ce qui a permis de mettre une certaine distance avec le fait de « parler à la place de ».
EL : Donc, plutôt l’évocation ?
GP : C’est tout le débat : qu’est-ce qu’on peut dire ou ne pas dire ? Par rapport à l'appropriation culturelle, je n’ai que des questions, pas de réponses. Nous avons eu la chance de travailler avec le metteur en scène et artiste plasticien Jacques Newashish, qui nous a accompagnés dans la création du spectacle en tant que regard extérieur, notamment sur la subtilité dans l’appréhension de ces questionnements-là. Il fait partie de la communauté des Attikameks.
« Comment on nomme les choses » est également un point très délicat. Concernant les peuples autochtones, cela peut passer pour un propos quasiment raciste de dire « indien ». Je me suis posé la question de l’appellation « peuple autochtone » lorsque je suis intervenu auprès d’enfants de CM2 en France. Si l’on dit « les peuples autochtones, c’est les Indiens », tout de suite les enfants comprennent…
EL : Les peuples autochtones sont divers…
GP : Oui, des peuples autochtones, il y en a partout. Mais effectivement on dit « les peuples premiers » ou « les peuples autochtones ». Il y a des centaines de peuples différents en Amérique du Nord et en Amérique du Sud. On peut parler d’« Autochtones première nation » mais « première nation » ne résonne pas en France. On ne sait même pas que c’est un sujet extrêmement sensible en Amérique.
institutionnel de la compagnie Ombres Folles
EL : Il a besoin d’être mieux connu ici. Est-ce que Celle qui marche loin va continuer de tourner en France ?
GP : On sent qu'on est un peu sur la fin. C'est un spectacle qui a beaucoup tourné dans les réseaux marionnettes. Il est sorti en 2019 et il a survécu au Covid, ce qui était très compliqué pour un spectacle international. On a eu un arrêt pendant un an et demi, avec de très grosses difficultés pour voyager et travailler à l'étranger.
Nous avons pu le jouer dans les grands festivals de marionnettes français. Et un peu en Bretagne parce que c'est la région d'où on vient. Force est de constater qu'on n’a pas réussi à ouvrir le spectacle à d'autres réseaux. Le Covid a fait son travail de sape parce que les programmateurs pensent : « C'est un spectacle qui est un peu ancien ».
le 1er août 2019.
Il a tout de même été montré davantage au Canada. On a fait de grands festivals et de très belles salles pour jeunes publics également. On a fêté récemment la centième. Donc, on est quand même fiers et contents d'avoir réussi à aller jusque-là.
le 27 février 2018.
EL : Est-ce que le public réagit différemment au Québec et en France ?
GP : Oui. Nous nous sommes demandé pourquoi le spectacle se diffusait un peu moins bien en France qu'au Canada. Avec le temps et le recul, je pense que la question de la colonisation et de la Nouvelle France est plus proche des Canadiens.
La question de la Nouvelle France est très peu abordée dans les programmes scolaires en France. Si on en parle, personne ne sait de quoi il s’agit. Alors qu’au Canada, tout le monde est bien renseigné.
web institutionnel de la compagnie Ombres Folles
web institutionnel de la compagnie Ombres Folles
EL : Selon vous, le spectacle est pour tout public ou pour le jeune public ?
GP : Nous l’avons plutôt imaginé comme un spectacle familial, à partir de sept ans. Nous proposons à de nombreux moments des espaces de double lecture, des apartés où les enfants vont comprendre quelque chose, et les adultes percevoir autre chose. Nous nous sommes amusés avec cette interrogation : « qu’est-ce que nous, Français, connaissons de l’histoire américaine ? », et vice versa. Par exemple, c’est assez rigolo de se dire que les Français pensent surtout à la Ruée vers l’or. C’est dans notre imaginaire collectif. Mon personnage, qui est un Français, joue donc dans ses petits apartés sur la méconnaissance et les a priori culturels.
EL : Comment s’est déroulé votre processus d’écriture ? Est-ce que vous avez écrit en tandem ?
GP : Une des particularités de l'écriture, c'est qu'elle s'est faite à la fois sur des temps en commun, par le biais de résidences artistiques, et de manière intercontinentale, avec Internet qui nous a servi d’outil pour échanger sur le texte.
L’écriture a commencé par une résidence au cours de laquelle nous étions accompagnés par Jérémie Desbiens qui fait partie de la compagnie Ombres Folles et vient du théâtre d’objets. Nous l’avons invité pour tenter de défricher ensemble quelles étaient nos envies, à Maude et moi, en matière d’histoire. Lorsque nous avons pu définir ce qui nous plaisait et ce qui nous plaisait moins dans tout ce que nous avions récolté, ce qu’il fallait conserver ou laisser, nous n’avons gardé qu’une seule des histoires. Il a fallu réadapter le texte, définir les grandes étapes de ce que nous allions raconter. Parallèlement, des petites scènes de théâtre d’objets sont apparues. Nous nous sommes également demandé comment écrire notre partition de conteur.
"[Coprod Bretagne] Petite spirale d'objets pour éveiller la créativité", postée le 12 février 2018. A droite, photographie
non légendée, postée le 27 septembre 2018
sommes hébergés dans la Maison des Confesseurs", postée le 4 septembre 2018. A droite, photographiée légendée
"Gildwen et le shack en bois !", postée le 6 février 2018
marche loin présente au Dôme de Saint-Avé", postée le 28 novembre 2018. A droite, photographie légendée "Gildwen et le
monde de Risk", postée le 7 juin 2018
EL : Quel a été le rôle de Jérémie Desbiens ?
GP : Nous ne voulions pas, Maude et moi, être dans un tête-à-tête pour l’écriture. Au démarrage, nous avions parfois du mal à nous comprendre. Cela était dû à une forme de barrière culturelle. Nous étions partis de l'a priori que, étant tous deux francophones, il serait aisé de communiquer, or nous nous sommes aperçus que nous n’interprétions pas de la même manière certains éléments de langage. La création a eu ensuite un bon rythme de développement. Nous avions un objectif clair et nous sommes allés assez vite dans le vif du sujet.
EL : Lors du travail de recherche artistique, comment a émergé un vocabulaire commun de création ?
GP : Nous avons la chance d’avoir été formés dans des écoles similaires. J’ai passé beaucoup de temps avec le Théâtre de Cuisine et Maude auprès d’Agnès Limbos. Cela reste des univers assez proches. Lors des premières semaines de création, nous avons mis à plat un petit vocabulaire de travail, un vocabulaire qui nous plaisait bien et qui nous était propre.
Nous avions également la même envie de voir se développer certaines scènes de théâtre d’objets. Parmi une trentaine d’images que nous avions mises en commun, nous en avions sélectionné une dizaine. Ce qui est assez drôle, c’est que Maude et moi avons sélectionné les dix mêmes images. Nous étions plutôt raccords.
EL : Quelles sont les difficultés d’une coproduction ou co-création qui se fait de part et d’autre de l’océan Atlantique, avec cette grande distance géographique ?
GP : Je dirais que la plus grande difficulté est de se perdre dans le temps et dans l’espace. Je pense que si l’on avait créé sur une période de deux ans et demi, nous aurions perdu le fil de la création.
Les enjeux de la production ne sont également pas les mêmes en France et au Canada. Ils peuvent induire des besoins et des envies différentes. Si je prends le cas de figure de compagnies où il y a des déséquilibres dans le temps de travail que chacune peut apporter sur un projet commun, selon si les artistes peuvent prétendre à l'intermittence ou non, cela peut être une donne assez difficile à gérer.
Dans notre cas, au niveau production, les deux compagnies ont amené la même somme d’argent. C’est important.
Ensuite il y a la donnée culturelle qu’il faut prendre en compte dans les échanges créatifs. Nous n’avons pas le même pattern de création. Il faut prendre le temps de bien communiquer.
institutionnel de la compagnie Ombres Folles
EL : Comment se gère la question des voyages pour les temps de création ?
GP : La principale difficulté est au niveau de la production. Il faut trouver de part et d’autre le maximum de partenaires pour financer la création. Par exemple, nous sommes allés voir l’Institut français région Bretagne. Ils nous ont financé le voyage en tant que projet de recherche et de création au Canada.
RoiZIZO Théâtre, publié le 25 mars 2019
Ce qui coûte le plus cher est le billet d’avion. A minima, il faut sept cent euros pour se voir et travailler ensemble, Maude et moi. J’ai une mémoire sélective qui fait que j’ai tendance à oublier les événements plus compliqués [rires] mais il y a également les questions de logement par exemple.
EL : Seriez-vous prêt à recommencer l’expérience d’une co-création avec une compagnie québécoise ? Ou avec une compagnie d’un autre pays ?
GP : Je pense que c’est une étape dans la vie d’une compagnie, et pour moi c’est une étape dans ma vie d’acteur. L’idée de l’international me colle à la peau depuis mes études. Je suis très content de l’avoir fait. Cela a bien fonctionné, donc je considère que c’est une réussite malgré de véritables difficultés au niveau de la production : jongler avec des monnaies différentes, des calendriers d’appels à projets différents… C’est une véritable gymnastique quand même.
L’avantage de notre collaboration avec Maude, c’est que nous avons été dans une logique de partage, aussi bien dans la création, que sur des aspects de production et de mutualisation de réseaux.
Autre chose notable, nous avons reçu des aides financières du Québec un an et demi avant de les avoir en France, en ayant pourtant déposé le même dossier…
Par ailleurs, l’idée de faire se croiser les publics et les programmateurs était très intéressante. Par exemple, j’ai parlé du festival Théâtre à tout âge de Quimper à un théâtre jeune public du Québec qui s’appelle Maison Théâtre. Cela permet de créer des liens entre institutions.
J’aimerais beaucoup retenter l'expérience. Peut-être que je reviendrai vers le Canada, mais je pense qu’il est aussi intéressant de travailler avec d’autres régions ou d’autres pays. En jouant des spectacles différents du RoiZIZO au Québec, j’ai rencontré tout récemment une délégation qui venait de l’Ontario… Je vais également essayer d’aller à Chicago l’année prochaine, dans le cadre d’un festival des arts de la marionnette. Je suis très curieux de voir comment cela fonctionne aux Etats-Unis.
Parmi les avantages de travailler avec une compagnie d’un autre pays, je trouve très enrichissant de voir comment ça se passe ailleurs, comment d’autres artistes vivent de leur métier. Avec Maude, nous avons pensé les choses sur un mode de partage. Le RoiZIZO Théâtre partageait son réseau français, et la compagnie de Maude partageait son réseau au Québec. Cela a permis d’ouvrir la porte de certains festivals en France et au Québec pour nos deux compagnies. Plus largement, je trouve beau de développer des amitiés entre compagnies.
Un autre aspect fondamental, je vais le dire un peu crûment, c’est celui de l’argent. Il faut que le rapport avec nos collaborateurs au niveau économique soit sain, autrement, je pense que cela peut vite poser problème. Avec Maude, nous avons pris la décision d’être transparents à ce sujet tout de suite. Je me suis dit : « Heureusement que c’est transparent, sinon cela aurait pu mettre de l’eau dans le gaz ».
EL : C’est un point relevé par chaque compagnie avec laquelle j’ai pu échanger. Au Québec, il n’y a pas de fausse pudeur pour parler argent. Il fait partie des outils pour créer.
GP : Effectivement j’ai trouvé cela sain. Je l’ai mis sur le compte des qualités de productrice de Maude et de la gestion de la production de ma compagnie. Nous nous étions même engagés, s’il y avait des déficits, à savoir comment on allait régler les problèmes. Nous avions émis toutes les hypothèses en amont.
de diffusion du spectacle Celle qui marche loin, disponible
sur le site de la compagnie Le RoiZIZO.
Lorsqu’un spectacle tourne, il y a de l’argent qui rentre. Mais parfois les choses peuvent devenir plus compliquées sur la fin. Par exemple, l'organisme Spectacle Vivant en Bretagne nous a dit : « On arrête, on n’est pas là pour subventionner chaque voyage au Canada ». Donc, c’est un peu plus dur de boucler.
EL : Est-ce que cela va vous amener à mettre en place un doublon de spectacle côté Québec et côté France ? C’est-à-dire, que vous travaillez sur ce spectacle avec un partenaire français, et Maude avec un partenaire Québécois ?
GP : C’est une question que l’on a émise, et qui est même à l’ordre du jour. On s’était déjà posé la question pendant le Covid. Ce qui est compliqué, c’est que l’on joue les personnages d’un Français et d’une Québécoise et c’est vraiment notre duo…
Pour l’année prochaine, il y a quelques incompatibilités de calendriers que l’on n’arrive pas à régler. Cela nous invite à nous poser la question : si l’on faisait un doublon de spectacle ? L’un tournant en France et l’autre au Québec.
Au niveau de la diffusion, on essaie d’être le plus logique possible en groupant les dates à un endroit géographique ou à un autre. Nous avons beaucoup de mal à le faire en France, et plus de facilité à le faire au Canada. Il y a tout de même des fois où il y a des dates isolées.
C’est aussi un problème pour notre bilan écologique. Cela nous questionne beaucoup. Venir au Canada pour trois dates, est-ce que c’est bien ? Donc, on réfléchit pour mettre en place une logique de doublon de spectacle pour certaines dates.
Dans le pedigree du spectacle, Maude avait l’idée de le jouer au sein des communautés [autochtones].
Ombres Folles, publié le 7 août 2019.
Les écoles et les centres communautaires ont des calendriers définis seulement six à trois mois à l’avance. Cela serait certainement plus simple d’avoir un comédien qui me remplace habitant au Canada, pour pouvoir se dire : « Tiens on a une proposition pour jouer dans deux mois, c’est possible ! ».
Il y a aussi des différences au niveau des droits de reprise d’un rôle au Québec. La personne qui reprend un rôle doit avoir l’exclusivité de toutes les dates qui vont être jouées au Québec ensuite. Cela pose donc de nouvelles questions.
EL : Pour conclure, que conseillerez-vous à une compagnie qui souhaiterait faire une coproduction avec le Québec ? A quels éléments faut-il faire attention ?
GP : L’une des questions essentielles est : quel modèle choisir ? Est-ce que c’est un spectacle co-créé, mais produit par une seule compagnie ? Cela peut avoir un impact sur le type d’échange. Il est important de comprendre les tenants et les aboutissants de cette différence-là.
Une autre des difficultés, c’est de se perdre dans les méandres administratifs internationaux. Une coproduction est complexe. Bien s’entourer est nécessaire. L’artistique doit rester au centre.
de diffusion du spectacle Celle qui marche loin, disponible
sur le site de la compagnie Le RoiZIZO.
Dans notre cas, nous avons pensé les choses en équilibre : deux regards extérieurs, deux chargés de diffusion, deux créateurs/compositeurs/régisseurs… à chaque fois en France et au Québec. Donc bien s’entourer pour que tout le monde se comprenne bien.
Lorsque j’ai cherché à monter une coproduction internationale, j’ai trouvé peu d’informations là-dessus. Ce savoir doit être transmis.