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Confession : dans les petits papiers d'Alain Lecucq
Auteur : Patrick Boutigny, directeur du festival de Dives-sur-mer de 1990 à 2010 et secrétaire général salarié de THEMAA de 2005 à 2010.
Avec la relecture attentive d'Evelyne Lecucq, journaliste, femme de théâtre.
Dossier réalisé en écho à la publication du numéro 62 de Manip (THEMAA, avril-juin 2020).
Le théâtre de papier est à l'origine un jeu de théâtre miniature pour comédiens amateurs, pratiqué dans les familles britanniques depuis le début du 19e siècle, qui se répand dans tout l'Europe jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. A partir des années 1980, des artistes professionnels s'en emparent et lui offrent des orientations contemporaines dans le respect des formes plates en papier et en carton. Cette renaissance essaime alors sur tous les continents.
En parallèle de la reconnaissance du théâtre d'objets par le public, le théâtre de papier bénéficie de l'ouverture des scènes aux petites formes. Aux yeux d'un programmateur, un spectacle destiné à cinquante personnes n'apparaît plus comme une hérésie. La marionnette a désormais élargi son univers à d'autres formes et d'autres techniques voire s'est mêlée d'écritures contemporaines.
La Confession d'Abraham
En 2002, Alain Lecucq s'empare du texte de Mohamed Kacimi La Confession d'Abraham. Véritable succès au théâtre de Vitry-Le François et en Avignon. La compagnie part en tournée dans toute la France.
Avec cette oeuvre, Alain Lecucq aura gagné le pari de faire se rencontrer une technique traditionnelle et le texte contemporain. Le spectacle, La Confession d'Abraham, aura définitivement enterré l'image passéiste du théâtre de papier.
Confession : dans les petits papiers d'Alain Lecucq
Auteur : Patrick Boutigny, directeur du festival de Dives-sur-mer de 1990 à 2010 et secrétaire général salarié de THEMAA de 2005 à 2010.
Avec la relecture attentive d'Evelyne Lecucq, journaliste, femme de théâtre.
Dossier réalisé en écho à la publication du numéro 62 de Manip (THEMAA, avril-juin 2020).
Le théâtre de papier est à l'origine un jeu de théâtre miniature pour comédiens amateurs, pratiqué dans les familles britanniques depuis le début du 19e siècle, qui se répand dans tout l'Europe jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. A partir des années 1980, des artistes professionnels s'en emparent et lui offrent des orientations contemporaines dans le respect des formes plates en papier et en carton. Cette renaissance essaime alors sur tous les continents.
En parallèle de la reconnaissance du théâtre d'objets par le public, le théâtre de papier bénéficie de l'ouverture des scènes aux petites formes. Aux yeux d'un programmateur, un spectacle destiné à cinquante personnes n'apparaît plus comme une hérésie. La marionnette a désormais élargi son univers à d'autres formes et d'autres techniques voire s'est mêlée d'écritures contemporaines.
La Confession d'Abraham
En 2002, Alain Lecucq s'empare du texte de Mohamed Kacimi La Confession d'Abraham. Véritable succès au théâtre de Vitry-Le François et en Avignon. La compagnie part en tournée dans toute la France.
Avec cette oeuvre, Alain Lecucq aura gagné le pari de faire se rencontrer une technique traditionnelle et le texte contemporain. Le spectacle, La Confession d'Abraham, aura définitivement enterré l'image passéiste du théâtre de papier.
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Au croisement du théâtre de papier et du texte contemporain
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Les voix de La Confession d'Abraham
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Le texte contemporain au service du théâtre de papier ou inversement
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La figure d'Abraham : acteur ? marionnettiste ? marionnette ?
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Vers une complexité énonciative, générique et dramaturgique
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Le futur d'Abraham
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Pour aller plus loin...
Au croisement du théâtre de papier et du texte contemporain
de la compagnie Papierthéâtre à Vorges, Présentation de
l'histoire du théâtre de papier par Alain Lecucq
© Véronique Lespérat Hequet
En 1969, Alain Lecucq est en Angleterre. Au cours d'une soirée au Little Angel Theatre, il découvre George Speaight et son théâtre de papier : révélation de ces années d'apprentissage. Le théâtre d'ombres eut longtemps sa préférence. Ce n'est qu'en 1988 qu'il crée pour le Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville, Ce soir, théâtre de papier pour une vingtaine de personnes, forme originale composée de deux parties didactiques et drôles sur la naissance de cette technique, suivies de l'interprétation d'une pièce d'époque sous la forme de superposition de planches imprimées successives, propres à la technique du théâtre de papier.
Découverte pour les publics, découverte pour les auteurs contemporains qui très vite sont accrochés par cette forme esthétique. En 1993, Alain Lecucq rencontre Michel Deutsch qui lui demande de "faire quelque chose" avec l'un de ses textes : L'Empire. Wilfrid Charles, directeur du théâtre de Tulle, décide de coproduire le spectacle, L'Empire collages, en 1994, et Alain Lecucq consacre dès lors son travail aux auteurs contemporains.
Après cette rencontre initiale, il collaborera avec Matéi Visniec, croisé à la Chartreuse de Villeneuve-Lez-Avignon à l'occasion des Rencontres entre marionnettistes et auteurs contemporains puis, par l'intermédiaire de Françoise Vuillaume, alors directrice adjointe de l'événement, Alain Lecucq croise l'écriture de Mohamed Kacimi.
Les voix de La Confession d'Abraham

© Papierthéâtre
Abraham est enterré dans le caveau des patriarches. Chaque jour, des pèlerins des trois religions s'adressent à leur ancêtre en glissant des messages à travers une grande grille. Abraham les lit au fur et à mesure, les commente et parle à sa femme Sarah, la mère de leurs six milliards quatre cent vingt millions trois cent mille deux cent trente enfants. Une vie commune longue de trois mille ans et lourde de tant de déchirements et d'épisodes incroyables. Il se souvient du déluge, de la destruction de Sodome... Mais bientôt, des messages arrivent à Abraham de la part de Dgibril de Jéricho, de Sélim de Gaza, de Diop de Douala, du petit Simon de Nazareth qui a jeté une pierre contre des soldats qui ont tiré, "pas en caoutchouc". L'histoire s'accélère...
Imprégné des couleurs et de l'histoire de l'Orient, le dramaturge algérien soulève, avec sa Confession d'Abraham, les éternelles utopies de la mémoire collective. En évoquant cet autrefois, il n'est furieusement question que d'aujourd'hui et des atteintes récurrentes à l'intégrité de l'homme.
L'une des plus grandes forces du texte reste qu'il fait entendre la voix du patriarche lui-même. Il n'est pas présenté comme le fondateur austère des monothéismes, mais comme un homme vivant, plein d'humour, aimant passionnément sa femme et dont la foi tremble, laissant apparaître les fissures d'un bloc monolithique. Les recherches exégétiques, les références à l'histoire et à l'actualité du Proche-Orient mêlées à la poésie de la langue de Mohamed Kacimi, d'une drôlerie bienveillante voire mordante, font advenir la rencontre d'un Abraham biblique et humain.
Le texte contemporain au service du théâtre de papier ou inversement

© Papierthéâtre
La mise en scène fait apparaître Alain Lecucq en patriarche, manipulant les figurines au-dessus d'un décor à tiroirs aussi complexe que le texte. La mise en scène enrichit le mille-feuilles intertextuel et herméneutique et entrecroise les réflexions théologiques, les critiques politiques, passant de la poésie à l'absurde. Appel à la paix et au dialogue, le spectacle a fasciné par l'heureux mariage entre une parole contemporaine et une forme rénovant le théâtre de papier.
La singularité de l'art d'Alain ne se trouve-t-elle pas au coeur de sa méthode de travail ?
Ce que je veux montrer est fondamentalement lié à ce que dit le texte. Une fois le texte adapté avec l'auteur je travaille sur la dramaturgie avec la contrainte oulipienne de monter tous les textes en théâtre de papier. Cette contrainte fait partie du travail et du plaisir. Je commence par la dramaturgie avant de penser aux images, retranscrit Patrick Boutigny, interrogeant Alain Lecucq.
La figure d'Abraham : acteur ? marionnettiste ? marionnette ?
Dans la mise en scène d'Alain Lecucq, l'identité d'Abraham passe alternativement d'une figurine de papier à son interprétation par l'acteur qui la manipule.

© Papierthéâtre
J'ai pris ce risque d'incarner Abraham, allongé dans mon tombeau pour amener le public vers le théâtre de papier, de jouer seul, d'essayer sur quatre mètres de donner cette impression de cheminement et de jouer sur l'horizontalité du plateau avec des boîtes aux lettres qui s'ouvraient derrière Abraham pour donner l'idée d'une circulation.
Tout est finalement question d'équilibre entre la forme minimaliste du théâtre de papier et l'interprète qui doit suffisamment de puissance aux personnages de papier.
Ce qu'explique la journaliste Evelyne Lecucq dans le journal de l'ORCCA en 2002 :
Lorsque la figurine d'Abraham en deux dimensions échappe à l'espace restreint du théâtre de papier où se "rejoue" le sacrifice de son enfant dans la première scène - telle l'empreinte perpétuellement ravivée d'un acte primordial - pour changer soudainement d'échelle et s'incarner dans le corps d'Alain Lecucq, acteur non maquillé, la perspective du spectateur en est modifiée, elle aussi, et laisse entrevoir une piste de questionnements : la vie d'Abraham n'est-elle pas un raccourci de celle de l'humanité ? Combien de leurs fils les hommes ont-ils offerts en holocauste aux grandes utopies ? Avec sensualité, avec naïveté, avec confiance, la parole du patriarche se livre. Son orgueil d'homme "élu" de Dieu, sa faiblesse face aux différents pouvoirs, son espoir aveugle en une terre "promise" ne se défont jamais d'un immense amour pour sa femme, d'un immense amour pour la vie : " Mon bois d'ambre et de musc. Il y a un temps pour rêver, un temps pour désespérer. Un temps pour l'amour et l'éternité pour la blessure. Viens, allons dormir à Makpéla. J'ai mis sur ta pierre tous les parfums d'Arabie, de la rose musquée, de la rose poivrée et des pierres d'ambre." Tantôt de carton, tantôt de chair, Abraham arpente son tombeau comme son passé avec une foi irréductible en la fatalité. Le sens de son existence est éternellement voué à être enfermé dans ce qui est écrit.
Vers une complexité énonciative, générique et dramaturgique

© Papierthéâtre
Après le passage du spectacle en Avignon en 2002, Patrice Pavis, fasciné par cette forme marionnettique, écrit dans la revue Théâtre/public :
Alain Lecucq utilise toutes les possibilités de la voix parlée et du monde des objets évoqués par des figures colorées de carton saisies de profil. Ce "théâtre de papier" se plaît à élargir autant que possible la palette des sources d'énonciation et des genres : poésie orale, dialogue dramatique, théâtre d'objet, de marionnettes, récit d'un conteur, présence physique et vocale d'un acteur. Le manipulateur relie, complète, dynamise les divers modes d'expression : il est le lien vivant entre l'acteur et l'objet. Avec sa tête de prophète, sa chevelure et sa barbe blanche, Alain Lecucq vous crée un Theatrum Mundi en un tour de main. Il bouscule allègrement toutes les composantes et toutes les hiérarchies de la mise en scène. Celle-ci mixe des énonciateurs et des langages différents, varie l'échelle des représentations : la main devient énorme, la sauterelle monstrueuse, les papiers froissés figurent des rochers tourmentés, le personnage de papier, délicat et lisse, contraste avec le visage buriné de l'acteur. L'univers tout entier est réinventé et repensé à l'échelle humaine d'un manipulateur-démiurge. Et c'est bien l'artiste, et non Dieu, qui crée, défait et change le monde à sa convenance pour raconter l'histoire d'Abraham.
Le futur d'Abraham
Possibilités de Howard Barker, atelier dirigé par Alain
Lecucq avec les étudiants de la 6e promotion de l'ESNAM,
2004 © Pôle International de la Marionnette,
photographie : Christophe Loiseau
Depuis La Confession d'Abraham, le théâtre de papier a atteint ses lettres de noblesse : PapierThéâtre a essaimé le théâtre de papier en France et aux quatre coins du monde. Avec Narguess Majd aujourd'hui directrice de la compagnie, Alain Lecucq est associé étroitement à la formation et à la transmission de cet art, organisant des ateliers de pratiques artistiques et des stages destinés à un public professionnel. L'artiste témoigne :
A chaque fois, le choc des cultures est très fort. Je me souviens de la retenue des élèves en Finlande et des nuits de discussion sans fin avec les élèves de Téhéran. Les relations humaines peuvent être compliquées comme en Afrique. On peut rencontrer de vraies difficultés techniques comme à Cuba où il est impossible de trouver du carton, alors qu'en Palestine, les commerçants nous en donnaient. En Pologne, nous avions des étudiants déjà parfaitement formés. A chaque pays, il nous faut nous adapter. Mais une chose est indispensable : le stage doit durer au moins trois semaines pour qu'une vraie transmission s'effectue dans les meilleures conditions possibles.
Incontestablement, la compagnie PapierThéâtre a permis une véritable reconnaissance de cet art, dans la "famille" des Arts de la marionnette, ainsi qu'en lui apportant une forme contemporaine générant des spectacles d'extrême qualité. Alain Lecucq aime répéter :
Mon nom est associé au théâtre de papier. Lorsqu'on me demande pourquoi je me suis consacré à cette technique, je réponds : demanderiez-vous à un pianiste pourquoi il n'est pas guitariste ?
Pour aller plus loin...
A l'international : George Speaight (1914-2005)
Historien reconnu du théâtre de marionnette (History of the English Puppet Theatre, 1955, J. de Graff et Punch and Judy : a history, 1970, Studio Vista) et du cirque, George Speaight eut une dévotion pour le théâtre de papier. Auteur de la "bible" sur le sujet (Juvenile Drama, 1946, Macdonald et The History of the English Toy Theatre, édition augmentée de l'édition de 1946, 1969, Plays, Inc.), il entretiendra la flamme, depuis son adolescence jusqu'à sa disparition, en jouant bénévolement, avec passion et humour, quelques pièces du répertoire du XIXe siècle. Derrière son théâtre de papier, il incarnait les personnages plus qu'il ne les interprétait. Il a fasciné des générations de spectateurs et certains d'entre eux ont repris le flambeau. George Speaight possédait une qualité rare : bien qu'attaché dans sa pratique à la tradition, il ne manquait pas de soutenir la création contemporaine. Son importance a dépassé le cercle de la marionnette. Peter Brook, dans Oublier le temps en 2003, écrit : "La représentation qui se déroulait à l'intérieur de ce modèle réduit fut ma première expérience théâtrale. Elle demeure à ce jour non seulement la plus vivante, mais la plus réelle."
Autour du spectacle La Confession d'Abraham
(Documents consultables au Centre de Documentation et des Collections du Pôle International de la Marionnette)
• Mohamed KACIMI, La Confession d'Abraham : adaptation pour le théâtre de papier, 2000.
• Extrait du spectacle, filmé par Thierry Dufourmantelle en 2002.
• Dossier documentaire sur le spectacle.