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Parcours croisé franco-québécois : Jacques Chesnais, Micheline Legendre, Bastien et Bastienne - La marionnette à fils et la musique en partage
Ce parcours a été conçu en collaboration avec l’Association Québécoise des Marionnettistes (AQM) dans le cadre du projet franco-québécois « découvrabilité en ligne des contenus culturels francophones » du Ministère de la Culture (Direction générale des médias et des industries culturelles).
Textes : Michelle Chanonat (AQM) ; Evelyne Lecucq (Pôle International de la Marionnette).
Parcours croisé franco-québécois : Jacques Chesnais, Micheline Legendre, Bastien et Bastienne - La marionnette à fils et la musique en partage
Ce parcours a été conçu en collaboration avec l’Association Québécoise des Marionnettistes (AQM) dans le cadre du projet franco-québécois « découvrabilité en ligne des contenus culturels francophones » du Ministère de la Culture (Direction générale des médias et des industries culturelles).
Textes : Michelle Chanonat (AQM) ; Evelyne Lecucq (Pôle International de la Marionnette).
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Jacques Chesnais
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Micheline Legendre
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Bastien et Bastienne, l'argument
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Fondation de la compagnie Les Comédiens de bois de Jacques Chesnais - 1941
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Bastien et Bastienne par les Comédiens de bois de Jacques Chesnais - 1942
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Albert Wolff
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Bastien et Bastienne par Albert Wolff - 1945
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Premier spectacle de Micheline Legendre - 1948
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Jacques Chesnais, un véritable maître - 1951-1952
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Bastien et Bastienne par Micheline Legendre - 1959
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Jacques Chesnais et les Comédiens de bois en tournée en Amérique du Nord - 1967
Jacques Chesnais
Personnalité aux multiples facettes, Jacques Chesnais (1907-1971) a été l’une des grandes figures françaises des arts de la marionnette de la première moitié du XXe siècle. Il fut metteur en scène, constructeur, interprète, pédagogue, historien et collectionneur.
Né dans une famille d'artisans plombiers, il suit un chemin atypique en s'inscrivant à l'École des Beaux-Arts de Paris à l'âge de 17 ans, où il étudie sous la direction d'Ernest Laurent. Son parcours artistique s'enrichit avec les enseignements de Fernand Léger et de Jean Marchand à l'Académie Moderne, et il travaille la gravure dans l'atelier de F.-L. Schmied.
Intéressé par tous les arts de la scène, Jacques Chesnais assiste en 1929 à une représentation des Piccoli de Podrecca, célèbre troupe italienne de marionnettes à fils en tournée dans la capitale. Cet événement est le catalyseur de sa carrière remarquable dans le monde de la marionnette.
Le Théâtre de la Branche de Houx
Les Boxeurs, marottes de Jacques Chesnais à partir de maquettes de
Fernand Léger. Photo Geiger, vers 1934 © Pôle International de la
Marionnette, fonds Chesnais.
En 1933, il épouse Madeleine Bralant (1907-2006), nièce de Joseph Charles Mardrus, éminent orientaliste, auteur de la traduction des Mille et une Nuits parue à la Revue Blanche entre 1899 et 1905. Le couple gravite dans les cercles intellectuels et artistiques parisiens, fréquentant entre autres Charles Dullin, Gaston Baty, Geza Blattner ou Arthur Honegger, et les couturiers Paul Poiret, Jeanne Lanvin, Lucien Lelong, Maggy Rouff et Elsa Schiaparelli. Ces derniers habilleront les huit marionnettes de son Théâtre de la Mode, idée originale transposant une tradition aristocratique européenne - l’emploi de poupées pour véhiculer la mode du jour - mais qui sera avortée par la guerre et ne pourra être présentée qu’une seule fois à Amsterdam, grâce à une autorisation spéciale, en avril 1940, par Jacques Chesnais mobilisé.
En 1934, Jacques et Madeleine Chesnais fondent le Théâtre de la Branche de Houx dont les techniques sont variées et inventives. Les boxeurs du célèbre Match de boxe, présenté l’année suivante aux Archives de la Danse, sont réalisés par Chesnais d’après une série de maquettes de son ami Fernand Léger.
La notoriété de Chesnais s'accroît avec le succès de ses 540 représentations à l'Exposition internationale des Arts et Techniques à Paris en 1937. Cependant, la guerre interrompt ses activités créatives. Appelé au front, Chesnais réussit à emporter un peu de matériel et divertit parfois les troupes avec quelques-unes de ses marionnettes, jusqu'à la débâcle.
Les Comédiens de Bois de Jacques Chesnais
À son retour à Paris en 1940, il trouve son atelier du Centre Kellermann pillé, et ce qu’il avait soustrait pour jouer devant les soldats a été volé par les Allemands. Tout est perdu. En collaboration avec sa femme Madeleine, il fonde une nouvelle troupe, Les Comédiens de Bois de Jacques Chesnais. A la recherche d'un théâtre poétique, Jacques Chesnais fait le choix de la marionnette à fils, technique alors récente, pour sortir des sentiers battus de la tradition (marionnettes à gaine ou à tringle). Il sculpte et peint lui-même tous les personnages.
Premier Voyage dans la Lune par les Comédiens
de bois de Jacques Chesnais © Pôle International
de la Marionnette, fonds Chesnais. Photographie :
Christophe Loiseau, 2011 (1)
Le couple constitue peu à peu un ensemble de numéros de marionnettes d'une durée de trois à six minutes (à l’exception de Bastien et Bastienne, plus long) sur des accompagnements uniquement musicaux. L’absence de texte à proprement parler et la structuration adaptable de son répertoire permet à Jacques Chesnais de proposer des spectacles internationaux de durée variable (de 20 minutes à 2 heures) avec lesquels il sillonne le monde. Souvent chargée de mission officielle, la compagnie renommée l'entraîne sur les scènes de divers music-halls, cinémas, prestigieux théâtres européens, et sur d'autres continents. Les Chesnais travaillent avec les Jeunesses musicales de France et reviennent régulièrement à Aix-en-Provence pendant le Festival de musique. Ils sont présents dans de nombreuses foires commerciales à l'étranger.
Parmi les titres mémorables de la compagnie, citons Bastien et Bastienne de Mozart ; Le Ballet des Etoiles, sur une musique d’André Jolivet, la Pastorale, sur une musique d’Henri Sauguet ; Arlequin marchand de couleurs, sur une musique de Madeleine Perissas ; les numéros de cirque regroupés sous différents noms ; et Premier voyage dans la lune, spectacle de science-fiction pour enfants, qui était exceptionnellement parlé.
Un exemple de leur notoriété : de 1952 à 1956, la Comédie des Champs-Elysées accueille régulièrement les Chesnais avec leurs cent cinquante marionnettes à fils qui transportent les spectateurs dans un voyage imaginaire de plus de deux heures, composé de vingt-deux tableaux, une alternance de sketches, de ballets, et d'histoires jouées au canevas.
Jacques Chesnais et ses Comédiens de bois au music-hall
de Bobino, rue de la Gaité (Paris). © : Musée des civilisations
de l'Europe et de la Méditerranée, photographie : Pierre Soulier,
1945.
En 1955, la Chambre syndicale de la Haute Couture parisienne confie à Chesnais un spectacle de marionnettes à gaine et techniques diverses, 50 ans d'élégance parisienne, qui sera présenté à Paris, à Rio de Janeiro, à Lille et à Bruxelles.
Sauf exception pour former quelqu’un, la troupe est composée au maximum de quatre personnes : Madeleine et Jacques à la manipulation sur le pont du castelet, et deux aides à la régie au sol (dont Marion, leur fille, à partir de 1952), l'un côté cour et l'autre côté jardin, pour approcher les marionnettes des manipulateurs et les dégager lorsqu'elles ont fini de jouer. La préparation de la structure de jeu et la vérification des marionnettes est très minutieuse, les deux manipulateurs ne descendent plus du pont pendant le spectacle, il faut préserver un bon rythme et éviter au maximum l'incident. En visitant les coulisses de certaines compagnies étrangères, Chesnais s’étonnera souvent du nombre impressionnant de manipulateurs pour un rendu équivalent à celui de sa petite troupe.
Le passeur et l’historien
Jacques Chesnais ne conçoit son travail de créateur sans une curiosité inlassable pour l’histoire de son art et pour sa pratique dans les autres pays, ou les autres cultures. Il est un érudit qui consacre beaucoup d’énergie à transmettre sa passion.
Il contribue largement à la présentation du fonds Léopold Dor lors de l’exposition de 1939 au musée Galliera (aujourd’hui dans les murs du musée Gadagne de Lyon). Par des enquêtes de terrain et des recommandations d’achats, il aide également J.-H. Rivière à constituer les collections de marionnettes du musée des Arts et Traditions Populaires.
Jusqu’à la fin de sa vie, Jacques Chesnais donne des conférences, fait des démonstrations, enseigne son savoir à des groupes de tous les âges (dans le premier collège Montessori, pour les Éclaireurs de France, pour des éducateurs, etc.). Il forme des professionnels, dont Micheline Legendre, marionnettiste québécoise, sans crainte de dévoiler ses techniques de fabrication alors que le secret fut souvent de mise chez les marionnettistes de son époque. Il collabore activement à des sociétés savantes et à la Commission du Théâtre pour la Jeunesse. Il rédige nombre d’articles et de fascicules thématiques sur les marionnettes. Son Histoire générale des marionnettes, publiée en 1947 aux éditions Bordas (2), fait encore date. Son dernier écrit permit de sortir de l’oubli une technique issue du XIXe siècle, le théâtre de papier (3).
Il était officier de la Légion d'Honneur, des Arts et Lettres et des palmes académiques.
Rouge. Vers 1953 © Pôle International de la Marionnette,
fonds Chesnais.
Madeleine Chesnais lui a survécu jusqu'en 2006 en préservant toutes les marionnettes de ses spectacles et ses documents ainsi que sa collection de marionnettes privée, qui était l'une des plus belles au monde. Le musée des Marionnettes du Monde (Gadagne) à Lyon lui a rendu hommage en 2008, avec l'aide de Marion Chesnais, par l'exposition de cette collection et des traces de ses propres spectacles, sous le titre Jacques Chesnais, un monde entre ses mains (4).
Une partie des marionnettes appartient maintenant par dation au Département des Arts du Spectacle de la BnF à Paris. Une
autre partie, ainsi que l’essentiel de la collection, est présentée sur le PAM. Une quantité importante de sa documentation sur les marionnettes a été donnée par sa fille Marion (1935-2016) à l'Institut International de la Marionnette (aujourd'hui Pôle International de la Marionnette) de Charleville-Mézières.
Notes :
- La marionnette est conservée au musée de l’Ardenne à Charleville-Mézières.
- Le livre a été réédité en 1980 aux Éditions d’Aujourd’hui.
- Chesnais Jacques, Les Théâtres de papier, édition Médecine de France, 1972.
- Le catalogue de l’exposition a été édité par le Musée Gadagne en 2008.
Sources :
Fonds Jacques Chesnais (Pôle International de la Marionnette).
Article "Jacques Chesnais" dans l’Encyclopédie Mondiale des arts de la Marionnette.
Article "Jacques Chesnais" du site « En scènes » de l’INA.
Jacques Chesnais, un monde entre ses mains, Musée Gadagne, 2008.
Micheline Legendre
Née à Montréal, Micheline Legendre (1923-2010) est une pionnière des arts de la marionnette au Québec. En 1948, elle fonde Les Marionnettes de Montréal, compagnie avec laquelle elle crée 80 spectacles, donne plus de 16 000 représentations pour 2,5 millions de spectateurs. Au moment de sa mort, en 2010, elle laisse 1170 marionnettes dont plus de 800 marionnettes à fil, maintenant conservées par l’organisme de diffusion Casteliers.
Après des études musicales en violon à l’école Vincent D’Indy, Micheline Legendre parfait sa formation avec le violoniste Maurice Onderet, soliste à la Petite Symphonie de Montréal, un orchestre de musique de chambre. En 1945, sa rencontre avec Albert Wolff est déterminante.
1975 © Association Québécoise des
Marionnettistes (AQM) / Marionnettes
de Montréal.
La marionnette en héritage
Prisonnier de guerre allemand, Albert Wolff est déporté au Canada en 1941 et incarcéré à la garnison de Farnham. Fils d’un marionnettiste de Bavière, il met en place une troupe de théâtre de marionnettes avec d’autres prisonniers, un projet dans lequel il s’investit totalement. Il monte Docteur Faust, d’après Marlowe et Goethe. En 1945, la Société des Festivals de Montréal l’invite à représenter l’opéra de jeunesse de Mozart en un acte, Bastien et Bastienne, dans la plus pure tradition salzbourgeoise, dont la musique est interprétée par la Petite Symphonie de Montréal, où Micheline Legendre est violoniste depuis 1942. La musicienne passe derrière la scène pour animer les marionnettes et c’est la révélation.
Après avoir tenté de s’installer à Montréal et de fonder une compagnie permanente de marionnettes, Albert Wolff décide de s’exiler au Brésil en 1948, où il rejoint sa famille. Avant son départ, il lègue ses marionnettes à Micheline Legendre, en lui souhaitant de réussir là où il a échoué.
En 1948, Micheline Legendre fonde les Marionnettes de Montréal et donne son premier spectacle, Le plus rusé des hommes… c’est sa femme, d’après une chanson de folklore. Elle emploie des marionnettes à longs fils, un genre exigeant Portrait de Micheline Legendre en 1975. Association Québécoise des Marionnettistes (AQM) / Marionnettes de Montréal. qui demande un grand apprentissage technique. Elle décide de partir pour l’Europe pour étudier avec des marionnettistes européens, dont Jacques Chesnais en France, fondateur des Comédiens de bois. Jacques Chesnais est pour elle un véritable maître. Dans son atelier, Micheline Legendre reçoit une formation pratique, en mise en scène et progression dramatique, et théorique, en recherche historique, notamment sur les styles et les époques du théâtre, sur l’histoire de la marionnette dans le monde.
Elle effectue plusieurs stages en Autriche, en Sicile et en Angleterre. En 1951, elle représente le Canada et la France (en tant qu’élève de Chesnais) au Congrès international de la marionnette à Düsseldorf, en Allemagne. De retour en Amérique du Nord, elle parfait sa formation auprès de la compagnie Sue Hasting’s Marionettes à New York, dont les manipulateurs possédaient, selon elle, une « technique absolument sans défaillance ».
Pendant cinq ans, de 1952 à 1957, elle mène deux carrières en parallèle : elle est marionnettiste et étudiante à l’Institut d’études médiévales Albert-le-Grand (Faculté de philosophie) où elle obtiendra une licence, puis assistante-professeur en histoire de l’art à l’université de Montréal.
Une collaboration fructueuse s’engage avec Wilfrid Pelletier, chef de l’Orchestre symphonique de Montréal qui, tous les ans, commande à la marionnettiste la mise en scène d’un opéra : La Boîte à joujoux, de Debussy - dont une première américaine aura lieu le 17 décembre 1955 avec l’Orchestre philharmonique de New York - ; Pierre et le Loup, de Prokofiev, en 1956 ; Hansel et Gretel, de Humperdinck, en 1957 ; Petrouchka, de Stravinsky, en 1958 ; Bastien et Bastienne, de Mozart, en 1959.
Un itinéraire exceptionnel
Tout au long de sa carrière, Micheline Legendre maintient une activité créatrice considérable, en produisant au moins un spectacle par année pour lequel elle assure la conception et la réalisation des marionnettes, la mise en scène et la manipulation. Les spectacles sont présentés au Québec, au Canada et à l’étranger, lors de tournées imposantes. Elle est la première marionnettiste vivante à exposer en solo au Musée Gadagne de Lyon, au Palais de Chaillot et à la Cité Universitaire de Paris (1959).
Parallèlement, elle se montre très active au sein de l’UNIMA. Elle participe aux congrès en URSS (1954), en Belgique (1958), en Chine (1960), en Tchécoslovaquie et en Pologne (1962). À Varsovie, lors du VIIIe Festival international de l’UNIMA, elle présente Le Rossignol et l’Empereur de Chine et remporte le Diplôme d’honneur.
Parmi les événements qui ont jalonné l’itinéraire des Marionnettes de Montréal, il faut souligner l’obtention des droits d’Hergé pour adapter Les Aventures de Tintin. Micheline Legendre monte trois spectacles : Le Temple du soleil (1964), Tintin au Tibet (1965) et Le Trésor de Rackham le Rouge (1966), qu’elle présente tous les étés pendant sept ans au théâtre du Jardin des Merveilles, au parc Lafontaine à Montréal.
Riche de ses contacts (et grâce à sa ténacité légendaire), Micheline Legendre organise le premier Festival international de la marionnette, au Pavillon de la jeunesse durant l’Expo 67, pour lequel elle invite des marionnettistes européens, dont Jacques Chesnais, Albrecht Roser, venu d’Allemagne et le Théâtre de Spejbl
et Hurvinek de Prague. Les Marionnettes de Montréal présentent deux spectacles, Le Rossignol et l’Empereur, d’après un conte d’Andersen et Il était une fois...
En 1969, Micheline Legendre fait entrer les marionnettes à l’université, en étant chargée de cours à l’Université de Montréal en Sciences de l’éducation, cours s’adressant aux professeurs en pré-scolaire. C’est pour elle une grande
fierté.
Une impressionnante production audiovisuelle
Dès ses débuts, en 1952, la télévision canadienne fait appel aux marionnettes pour ses émissions destinées à la jeunesse. On peut même dire que la télévision a grandement œuvré à la professionnalisation du métier de marionnettiste au Québec et au Canada.
Micheline Legendre a participé à la production de 52 films éducatifs et de 400 émissions pour la télévision. Rodoudou, marionnette avec un lointain air de Spirou, créée pendant son séjour en France chez Jacques Chesnais, fut la vedette en 1956 d’une série télévisée de 13 épisodes. Pour La Boîte à Surprise, émission-fleuve diffusée pendant 16 ans à compter de 1956, qui a vu passer des comédiens tels que Paul Buissonneau ou le clown Sol, Micheline Legendre crée des marionnettes à leur effigie. En 1984, à la télévision de Radio-Canada, elle fait l’adaptation du conte de Marguerite Yourcenar Comment Wang-Fô fut sauvé.
Dans son atelier d’Outremont, Micheline Legendre a formé des dizaines de marionnettistes et d’artistes. Nicole Lapointe et Pierre Régimbald, qui ont été de l’aventure dès les débuts, ont ensuite beaucoup travaillé à la télévision, notamment pour les émissions Passe-partout et Nic et Pic. André Laliberté, entré comme stagiaire aux Marionnettes de Montréal, a évolué pendant dix ans au sein de la compagnie, d’abord comme marionnettiste puis comme formateur, avant de créer sa compagnie, le Théâtre de l’Œil. C’est grâce à Micheline Legendre que Claire Voisard et Petr Baran se sont rencontrés et ont fondé le Théâtre de l’Illusion, à Montréal.
L’excellence de sa carrière a été soulignée par plusieurs distinctions :
- Chevalière de l’ordre national du Québec en 1991 ;
- Membre d’honneur de l’Association québécoise des marionnettistes en 1991 ;
- Officier de l’Ordre du Canada en 1998 ;
- Membre d’Honneur de l’UNIMA international en 1998 ;
- Membre de la Société royale du Canada en 2001.
Elle a publié Marionnettes, Art et tradition, aux Éditions Leméac à Montréal en 1986, seul ouvrage au Québec retraçant l’histoire de la marionnette au Québec et au Canada.
Bastien et Bastienne, l'argument

de 13 ans, à Vérone, attribué à Giambettino
Cignaroli, 1770.
Mozart a 12 ans, en 1768, quand il compose Bastien et Bastienne, son deuxième opéra. Il répond à une commande du docteur Anton Mesmer, célèbre magnétiseur viennois et ami du compositeur. C’est d’ailleurs dans le théâtre privé de Mesmer qu’aurait eu lieu la première représentation de l’œuvre, en octobre de la même année.
Mozart s’inspire de l’intermède Le Devin du village (1752) de Jean-Jacques Rousseau, une pièce bucolique dans le goût champêtre de l’époque. L’énorme succès de cette œuvre donnée devant Louis XV s’exporte en Allemagne sous la forme d’une parodie comique plus populaire des Français Favart et Harny de Guerville : Les Amours de Bastien et Bastienne (1753). La musique française y était très appréciée à l’époque. Le Singspiel de Mozart est par conséquent une nouvelle adaptation en langue allemande de cette histoire de berger et bergère.
Bastienne est convaincue de l’infidélité de Bastien, un jeune berger qui, bien que très amoureux d’elle, n’est pas insensible aux charmes d’une châtelaine. Désespérée et tourmentée, la jeune bergère demande de l’aide au vieux magicien Colas, plein de sagesse et de bienveillance. Ce dernier la rassure sur les sentiments de Bastien et lui suggère de feindre l’indifférence. Le stratagème réussit au-delà de ses espérances, et c’est au tour de Bastien de demander conseil au vieux sage. Le devin persuade l’amoureux volage que seule la magie lui rendra son amour. Après une dernière querelle entre les deux amants, le couple se réconcilie et chante les louanges de Colas dans un bonheur retrouvé.
(D’après le dossier pédagogique rédigé par Emmanuelle Lempereur pour l’Opéra de Lille, janvier 2020)
Fondation de la compagnie Les Comédiens de bois de Jacques Chesnais - 1941
En 1940, une fois démobilisé par la signature de l’armistice franco-allemand, Jacques Chesnais ne retrouve plus l’essentiel de ce qu’il avait construit de 1934 à 1939 pour les spectacles - souvent des numéros de quelques minutes - de sa compagnie, le Théâtre de La Branche de Houx. Les marionnettes de différentes techniques – marotte, gaine, fils, ou objet détourné – étaient entreposées, à Paris, au Centre Kellermann, or celui-ci a été pillé : il faut repartir de zéro. Lui qui a déjà exercé les métiers de graveur ou d’entrepreneur de plomberie (héritage familial) hésite un temps à poursuivre professionnellement sa passion, mais il prend la décision en 1941 de se consacrer à la marionnette à fils avec une nouvelle structure : Les Comédiens de bois de Jacques Chesnais. Tout comme auparavant, Madeleine, sa femme, est partie prenante. Elle confectionne les costumes et anime les personnages à ses côtés.
contrôle d'une marionnette à fils devant une affiche des
Comédiens de bois © Pôle International de la Marionnette,
fonds Chesnais. Photographie : Jacques Gadreau.
Pourquoi Jacques Chesnais choisit-il alors l’unique et exigeante technique du fils alors que ses expériences, jusque-là variées, avaient été admirées par ses pairs et par le public ? Principalement pour deux raisons, l’une économique et l’autre artistique.
La première est l’adaptabilité du dispositif à tous les espaces, donc à toutes les programmations. Les marionnettistes à fils, avec leur pont et leur scène, recréent un espace théâtral autonome. Ils peuvent s’installer partout, y compris dans les salles à l’italienne équipées d’un balcon qui exclut les castelets des gaines ou des marottes. Avec ces techniques en effet, le regard des spectateurs plongerait de façon gênante dans les coulisses de la représentation.
La seconde raison vient de la formation de Jacques Chesnais : il n’est pas acteur. Il préfère travailler « derrière la toile », caché et muet, pour offrir aux spectateurs les compétences qui sont les siennes : la conception des marionnettes, leur mise en scène valorisant le mouvement et le choix de musiques à fonction dramaturgique.
Jacques et Madeleine Chesnais s’attellent à nouveau très rapidement à la conception de numéros courts (entre trois et six minutes) leur permettant de constituer des spectacles dont la durée est modulable en fonction de la demande. Ils composeront peu à peu un programme allant de vingt minutes à deux heures. Parallèlement, dès 1941, la compagnie des Comédiens de bois de Jacques Chesnais entame la création d’une oeuvre de quarante minutes, présentable seule si nécessaire : Bastien et Bastienne de Mozart.
(Source : interview de Marion Chesnais, fille de Jacques et Madeleine, collaboratrice des Comédiens de bois de Jacques Chesnais, effectuée lors de l’exposition « Jacques Chesnais, un grand marionnettiste du XXe siècle » pendant le 15e Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes, en 2009.)
Bastien et Bastienne par les Comédiens de bois de Jacques Chesnais - 1942
Pour entreprendre une création plus longue que celle des numéros présentés jusque-là par sa nouvelle compagnie, Jacques Chesnais choisit une œuvre du répertoire des marionnettes à fils, à laquelle il s’intéresse depuis des années, relativement légère à monter avec ses trois personnages : Bastien et Bastienne de Mozart. Le Théâtre de marionnettes de Salzbourg l’avait mis au programme de son inauguration en 1913. Le livret utilisé par les Comédiens de bois est une traduction du texte allemand d’Henry Gauthier-Villars, dit Willy.
Les personnages
Bastien pour Bastien et Bastienne par les
Comédiens de bois de Jacques Chesnais.
Vers 1941 © Pôle International de la
Marionnette, fonds Chesnais.
Invariablement, Jacques Chesnais entame la préparation d’un spectacle par les dessins des personnages et des décors. Ensuite seulement, il fabriquera les marionnettes. Jacques Chesnais n’a pas reçu de formation de sculpteur sur bois et
s’est senti quelques fois à la peine lors des créations de sa précédente compagnie, le Théâtre de la Branche de Houx. Il décide donc, avant de concrétiser le projet de Bastien et Bastienne, d’améliorer son niveau et de fréquenter l’atelier d’un ami sculpteur, Bernard Milleret, chez qui il acquiert de fines connaissances techniques.
Aux trois personnages, Bastien, Bastienne et Colas, il ajoute quelques figurants pour animer le paysage champêtre : un coq, une poule, un chat, un mouton et une colombe. Les têtes, mains, jambes, pieds et bustes achevés en bois de tilleul, il reprend ses dessins pour donner les indications précises des costumes du XVIIIe siècle à Madeleine Chesnais. Celle-ci les confectionne dans des tissus qui trouvent l’assentiment du couple alors que les restrictions de la France occupée compliquent la recherche des matières initialement souhaitées.
La musique
Bastien et Bastienne enregistrés par l’Anthologie
sonore pour les marionnettes de Jacques Chesnais
en 1941 © Pôle International de la Marionnette,
fonds Chesnais. Photographie : Anaïs Britton, 2024.
En 1941, le seul moyen de faire entendre de la musique dans un spectacle, en dehors de l’accompagnement très coûteux par des musiciens en direct, est d’utiliser des 78 tours dont la durée de chaque face est de trois minutes, mais cette œuvre de Mozart n’a encore fait l’objet d’aucun disque. Heureusement, Jacques Chesnais fréquente les membres du groupe de compositeurs Jeune France qui le recommandent auprès d’une entreprise phonographique spécialisée dans le répertoire du Moyen Age à la fin du XVIIIe siècle, l’Anthologie sonore. Marion Chesnais, sa fille, écrit (1) : « L’association Jeune France avancera à Chesnais l’argent nécessaire pour que six disques de grande qualité – avec l’orchestre de chambre du Conservatoire sous la direction d’André Cloez, Martha Angelici de l’Opéra-comique dans le rôle de Bastienne, Paul Derenne dans le rôle de Bastien et Pierre Mondé dans le rôle de Colas – sortent des presses de l’Anthologie sonore.
Il s’agit d’une version légèrement écourtée de l’œuvre dont la vente au public devra éponger peu à peu la dette de Jacques Chesnais. (Il est intéressant de noter que celle-ci ne se trouvera levée que dans les années 50 alors que le microsillon apparaît, si bien que son investissement ne rapportera jamais à Chesnais). C’est cette version de l’Anthologie sonore qui sera toujours utilisée par les Comédiens de Bois, même après l’apparition du magnétophone pour lequel elle sera transcrite sur bande. ». L’enregistrement des quinze musiciens et trois chanteurs se déroule du 15 au 17 septembre 1941 au studio Albert, à Paris.
La numérisation nous donne accès à quelques extraits de cette version sur Spotify ou sur Apple Music.
Le Pôle International de la Marionnette, à Charleville-Mézières, conserve les 78 tours utilisés par les Comédiens de bois de Jacques Chesnais.
Le spectacle
Le 26 novembre 1941, les disques et les marionnettes de Bastien et Bastienne sont présentés à la presse.
Chesnais © Musées Gadagne – Musée
des Arts de la Marionnette.
Jacques Chesnais conçoit un livre de conduite pour la mise en scène et le jeu. Comme toujours, la régie est extrêmement précise pour chaque scène et subit éventuellement des évolutions après la rencontre avec le public.
L’opéra nécessite trois personnes pour la manipulation en scène, la préparation des marionnettes en coulisses et les changements de faces des disques sur l’électrophone. Cette équipe est composée de Madeleine Chesnais (surnommée probablement Chenette dans les cahiers de son mari), Jacques Chesnais et Rodolphe Munier. Au fil du temps, seul le couple Chesnais sera stable, le troisième interprète variera en fonction de la disponibilité de Munier.
Le spectacle est testé, en février 1942, lors de quelques représentations devant les femmes des prisonniers de guerre puis, le 8 juin, la Comédie des Champs-Elysées accueille la générale de ce que Jacques Chesnais appelle « notre spectacle complet » comprenant Bastien et Bastienne et de nombreux autres numéros, juste créés ou antérieurs.
Le 30 septembre 1943, la toute jeune télévision française filme Bastien et Bastienne, mais n’ayant pas encore les moyens d’archiver toutes ses émissions, il n’en reste aucune trace.
Ce titre va rester jusqu’au bout au répertoire de la compagnie. Tantôt joué seul, tantôt écourté pour compléter un ensemble plus vaste, il aura une carrière internationale que la renommée du compositeur a facilité. Il sera également maintes fois joué pendant le festival musical d’Aix-en-Provence.
Les 10 et 18 juillet 1967, alors que Les Comédiens de bois de Jacques Chesnais ont été invités à Montréal par Micheline Legendre pour jouer dans son festival de marionnettes, la télévision en couleur canadienne enregistre l’une des versions du « grand spectacle » de la compagnie. Ce document n’a pas encore été retrouvé mais il ne comprend pas les personnages de Bastien et de Bastienne évoluant sous les doigts des Chesnais. Ils n’ont pas fait partie du voyage. A son retour, trop atteint par la maladie de Parkinson, Jacques Chesnais cesse toute représentation.
Pour imaginer le spectacle en scène, il reste dans le fonds Chesnais de l’Institut International de la Marionnette, deux photos des marionnettes devant un élément de décor, mises en place pour une exposition.
une exposition de marionnettes et de documents de
Jacques Chesnais, Rue d’Ulm (Paris) en 1972 © Pôle
International de la Marionnette, fonds Chesnais.
Notes :
- Dans « L’Union entre l’action scénique et la musique », Manip hors-série
n° 4, juillet 2011.
Sources :
● Documents du Fonds Chesnais au Pôle International de la Marionnette.
● Plusieurs interviews de Marion Chesnais, fille de Jacques et Madeleine, réalisés par le pôle Recherche du Pôle International de la Marionnette.
Marionnettes de Jacques Chesnais pour le spectacle Bastien et Bastienne
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Bastienne, marionnette pour Bastien et Bastienne par les Comédi
Jacques Chesnais
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Chat, marionnette pour Bastien et Bastienne par les Comédiens d
Jacques Chesnais
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Colas, marionnette pour Bastien et Bastienne par les Comédiens
Jacques Chesnais
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Colombe, marionnette pour Bastien et Bastienne par les Comédien
Jacques Chesnais
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Coq, marionnette pour Bastien et Bastienne par les Comédiens de
Jacques Chesnais
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Mouton, marionnette pour Bastien et Bastienne par les Comédiens
Jacques Chesnais
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Poison, corde et couteau, marionnette pour Bastien et Bastienne
Jacques Chesnais
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Poule, marionnette pour Bastien et Bastienne par les Comédiens
Jacques Chesnais
Albert Wolff
Albert Wolff est né en Allemagne, peut-être à Munich. Ses dates de naissance et de mort sont inconnues. Réfugié à Londres pendant la Deuxième Guerre mondiale, il est fait prisonnier par l’Angleterre. Comme 34 000 prisonniers de guerre japonais, italiens ou allemands, il est transféré au Canada et incarcéré en 1941 dans la garnison de Farnham. Fils d’un marionnettiste bavarois, il mobilise un groupe de prisonniers pour monter Docteur Faust, d’après Marlowe et Goethe, en théâtre de marionnettes.
On suppose ensuite qu’Albert Wolff aurait été libéré avant la fin de la guerre, ou qu’il aurait bénéficié d’une permission spéciale puisqu’on le retrouve en mars 1945 en train de préparer un spectacle de marionnettes pour la Société des Festivals de Montréal.
Pour son dixième anniversaire, la Société des Festivals de Montréal, fondée par madame Athanase David (1), a décidé de consacrer sa saison à Mozart. Albert Wolff est invité à représenter l’opéra de Mozart en un acte Bastien et Bastienne, dans la plus pure tradition salzbourgeoise. Composé par Mozart à l’âge de 12 ans, Bastien et Bastienne est une adaptation par une célèbre actrice du XVIIIe siècle, Madame Favart, du Devin du village, de Jean-Jacques Rousseau. La musique est interprétée par la Petite Symphonie de Montréal, dirigée par Bernard Naylor, où Micheline Legendre est violoniste. Sylvia Kesley et Kenneth Neate interprétaient Bastien et Bastienne, et Gérard Desmarais, habitué de la scène du Metropolitan Opera de Chicago, jouait Colas.
À la suite du succès de Bastien et Bastienne, Albert Wolff a plusieurs projets d’oeuvres musicales dans l’esprit du Théâtre de Paul Brann, célèbre et influent marionnettiste de Munich : La Servante Maîtresse de Pergolèse, L’heure espagnole de Ravel et Don Pasquale de Donizetti. Micheline Legendre lui fait rencontrer des artistes comme Émile Legault, fondateur des Compagnons de Saint-Laurent, les peintres Alfred Pellan et Jean-Paul Mousseau. Mais le soutien financier ne suit pas… Ne parvenant pas à mettre en place un théâtre de marionnettes permanent, il s’exile au Brésil où il rejoint sa famille. Avant son départ, il lègue ses marionnettes à Micheline Legendre.
Selon Michel Fréchette (2), « la venue d’Albert Wolff au Québec doit être considérée comme une date importante, comme le véritable départ de l’histoire contemporaine des marionnettes québécoises. »
Notes :
- Son véritable nom est Antonia Nantel-David mais la coutume voulait à l’époque que les femmes portent le nom de leur époux. Antonia Nantel David, avec son mari Louis-Athanase David, ont fondé en 1934 la Société des concerts symphoniques de Montréal, qui deviendra l’Orchestre symphonique de Montréal.
- Directeur artistique du Théâtre de l’Avant-Pays, compagnie de marionnettes active de 1976 à 2017, Michel Fréchette a fait plusieurs recherches sur l’histoire de la marionnette au Québec. Voir l’article publié dans la revue de théâtre Jeu n°51, juin 1989 : consulter.
Bastien et Bastienne par Albert Wolff - 1945
En 1945, la Société des Festivals de Montréal fête ses 10 ans. Pour souligner cet anniversaire en grand, les festivités auront lieu pendant six mois, du 19 janvier au 21 juin, avec des concerts de musique de chambre, Le Messie de Haendel à l’église Notre-Dame, un festival Mozart, trois opéras, La Passion selon Saint-Matthieu de Bach, Parsifal de Wagner…
La présidente de la Société, madame David, demande à Albert Wolff de monter l’opéra de jeunesse de Mozart (il l’a composé à l’âge de 12 ans) Bastien et Bastienne, dans la plus pure tradition de Salzbourg, avec marionnettes à fils et costumes élégants. C’est un défi pour Wolff, car tout est à faire : trouver et former des collaborateurs, des marionnettistes et des musiciens, dénicher un lieu pour répéter… Les marionnettes sont fabriquées par Albert Wolff, d’après les dessins de Robert Langstadt, et habillées par Irène Vachon. Quatre manipulatrices et un manipulateur les animent : Grace Angel, René D. Campa, Micheline Legendre et Irène Vachon. La mise en scène et les éclairages sont de Gunter Erlich, les décors, de Bill Armstrong, et les effets scéniques, de N.O.Laurence. La première a lieu le 2 avril, à l’auditorium du collège Loyola. C’est un succès éclatant (1), selon Micheline Legendre.
scène d'Albert Wolff : Grace Angel, Irène Vachon,
Micheline Legendre et René D. Campa © Association
québécoise des marionnettistes (AQM) / Marionnettes de
Montréal. Photographie : Conrad Poirier, 1945.
Notes :
Premier spectacle de Micheline Legendre - 1948
Chesnais et ses Comédiens de bois au music-hall de Bobino,
rue de la Gaité (Paris) © Musée des civilisations de l’Europe et
de la Méditerranée. Photographie : Pierre Soulier, 1945.
Fin 1946, début 1947, riche de l’héritage d’Albert Wolff, Micheline Legendre se retrouve avec des décors, des échafaudages, des marionnettes, des rampes d’éclairage, des rideaux, « beaucoup d’enthousiasme et peu d’expérience (1) » selon sa propre formule.
À cette époque, elle étudie en histoire de l’art à l’université de Montréal, tout en poursuivant des études musicales de violon à l’école Vincent d’Indy, et elle est musicienne au sein de l’Orchestre philharmonique des jeunes, dirigé par Fernand Gratton.
Avec le comédien Gabriel Gascon (2), elle commence à élaborer un projet de spectacle, autour duquel elle convie ses amis. Le peintre Jacques de Tonnancour (3) accueille les répétitions dans son atelier, situé dans la cave du collège Brébeuf. Le sculpteur Jean-Charles Charuest (4) fabrique les marionnettes et le peintre André Jasmin (5), les décors. Le père André Paquet est l’auteur du texte — une adaptation d’une chanson du folklore — qualité pour laquelle il prend le pseudonyme de Luc Perreault, jugeant qu’elle n’est pas compatible avec ses fonctions ecclésiastiques. Enfin, le compositeur Jean Papineau-Couture (6) signe les arrangements pour ténor, soprano et piano. La première représentation du spectacle Le plus rusé des hommes… c’est sa femme ! a lieu le 5 mai 1948 au Collège Saint-Laurent.
Un jour, au hasard de ses recherches, Micheline Legendre découvre une photo de L’Escarpolette, de Jacques Chesnais. C’est une révélation : c’est avec lui qu’elle veut apprendre.
Notes :
- Micheline Legendre, Marionnettes, art et tradition, Éditions Leméac, 1986, p. 117.
- Article "Gabriel Gascon" sur Wikipédia.
- Article "Jacques de Tonnacour" sur Wikipédia.
- Fonds Jean-Charles Charuest sur Advitam.
- Collection André Jasmin au Musée National des Beaux-Arts du Québec.
- Article "Jean Papineau-Couture" sur Wikipédia.
Jacques Chesnais, un véritable maître - 1951-1952
lors de son stage chez Jacques Chesnais © Association
québécoise des marionnettistes (AQM) / Marionnettes de
Montréal. Photographie : Michael Abril, 2021.
Micheline Legendre part étudier à Paris, auprès de Jacques Chesnais, marionnettiste réputé et fondateur de la compagnie Les comédiens de bois. Elle apprend avec lui la fabrication des marionnettes, la sculpture, la peinture, le modelage et la pose des fils, ce qu’on appelle l’ensecrètement (1), la construction et la peinture des décors. Madeleine Chesnais initie Micheline à la couture et aux costumes d’époque.
Grâce à Jacques Chesnais, Micheline Legendre rencontre Gaston Baty, les Pajot-Walton (2), Francis Raphard, montreur de marionnettes comme son père Petrus, qui donnait des représentations au Jardin des Tuileries, ou encore Géza Blattner (3), un des premiers marionnettistes à rompre avec le style traditionnel.
Dans son livre, Marionnettes, art et tradition, Micheline Legendre écrit : « Jacques Chesnais m’a donné le respect de mon métier, la rigueur qu’il faut dans les moindres détails et même ceux qui ne paraissent pas, le souci d’un répertoire de qualité et la conviction que l’art des marionnettes tient une bonne place aux côtés des autres arts dans toutes les civilisations. Par ses enseignements et la qualité de son travail, il m’a prouvé que l’art des marionnettes constitue une synthèse des arts et qu’il faut une certaine polyvalence pour le pratiquer avec succès. » (4)
Pendant son séjour parisien, elle conçoit et réalise la marionnette Rodoudou, qu’on retrouvera dans le spectacle La Boîte à joujoux avec l’orchestre symphonique de Montréal et, en 1955, avec la Philharmony de New York, à Town Hall. Rodoudou deviendra ensuite la vedette d’une série de 13 épisodes à la télévision de Radio-Canada, en 1956.
En 1951, Micheline Legendre est invitée au Congrès international de la marionnette, à Düsseldorf. Elle y représente le Canada et, en tant que stagiaire chez Chesnais, la France (les artistes français avaient refusé d’aller en Allemagne). C’est lors de ce congrès qu’elle rencontre Felix Mirbt pour la première fois.
Notes :
- « Absent des meilleurs dictionnaires, le terme d’ensecrètement désigne, au sens général, la règle du secret à laquelle se soumettent (ou se soumettaient, car elle tombe en désuétude) les prestidigitateurs, magiciens et illusionnistes qui, en principe, prêtent serment de ne pas révéler leurs procédés hors de la profession. C’est là une tradition ancienne : au XVe siècle, la machinerie compliquée des mystères était réglée par des « maîtres des secrets » qui prêtaient déjà ce serment Les « secrets » étaient alors, techniquement, l’ensemble des systèmes de cordes et de ressorts qui faisaient fonctionner les machines et les statues animées. Chez les marionnettistes, le terme d’ensecrètement désigne l’opération par laquelle l’artiste établit les fils de sa marionnette, en règle la longueur et la tension, et en dispose le contrôle : une opération décisive qui transforme l’objet inerte en objet animable, et en quelque sorte lui donne vie ». (Encyclopédie mondiale de la marionnette).
- Film : visionner
- Article "Geza Blattner" sur l'Encyclopédie mondiale des arts de la marionnette en ligne.
- Micheline Legendre, Marionnettes, art et tradition, Éditions Leméac, 1986, p. 120
Bastien et Bastienne par Micheline Legendre - 1959
(mise en scène de Micheline Legendre), de Jean Fournier
de Belleval, 1959.Association québécoise des
marionnettistes (AQM) / Marionnettes de Montréal.
De 1956 à 1962, Micheline Legendre collabore avec Wilfrid Pelletier, chef de l’orchestre symphonique de Montréal. Chaque année, Pelletier lui commande la création ou la reprise d’une oeuvre, pour Les Matinées symphoniques. Après Pierre et le loup, de Prokofiev, en 1956, Hansel et Gretel, d’après le conte des frères Grimm, en 1957 et Petrouchka, ballet de Stravinsky, en 1958, elle met en scène Bastien et Bastienne, l’opéra de Mozart, en 1959.
Les Marionnettes de Montréal donnent 40 représentations de Bastien et Bastienne entre 1959 et 1980, dont 30 à Montréal, 4 à Québec et 3 à Ottawa. En 1976, des représentations ont lieu dans le cadre du programme culturel offert durant les Jeux Olympiques de Montréal.
Les quatre marionnettes à longs fils - Bastien, Bastienne, Colas et une hirondelle - sont conçues par Micheline Legendre et Jean Fournier de Belleval, également concepteur des costumes, des décors et des accessoires, ainsi que des éclairages.
Micheline Legendre. 1959. Association québécoise des
marionnettistes (AQM) / Marionnettes de Montréal,
fonds Micheline Legendre, BAnQ.
Réalisées par Micheline Legendre, elles sont conservées à la Bibliothèque Robert-Bourassa à Montréal. À la création, elles étaient manipulées par Micheline Legendre, Nicole Lapointe et Pierre Régimbald. Trois jeunes chanteurs de la chorale Les petits chanteurs du Mont-Royal leur donnaient leurs voix : Luc Lechno, 12 ans, Gaétane Burdon, 14 ans et Anthony Shortino, 12 ans. Le spectacle a été diffusé à la télévision de Radio-Canada dans le cadre de l’émission Concert pour la jeunesse.
Les marionnettes de Bastien, Bastienne et Colas mesurent de 55 à 57 cm. Les membres sont sculptés en pin ou en merisier, le corps est en bourre et en coton, la tête en bois plastique (Plastic Wood) et le visage peint, les cheveux sont faits en soie à broderie sauf ceux de Colas, qui sont en feutrine. Les pieds sont en forme de chaussures à talons et à boucles évoquant le style du 18e siècle, ceux de Bastienne portent une rose sculptée.
Après la création, les représentations sont données sur musique enregistrée.
Marionnettes de Micheline Legendre pour le spectacle Bastien et Bastienne
Jacques Chesnais et les Comédiens de bois en tournée en Amérique du Nord - 1967
de Chine par Micheline Legendre. Photo Michael Abril, 2021
© Association québécoise des marionnettistes (AQM) /
Marionnettes de Montréal.
Pendant l’Expo 67, Micheline Legendre organise le premier festival international de marionnettes à Montréal, qui se déroule du 9 au 16 juillet. La France y est représentée par Jacques Chesnais et ses Comédiens de bois, l'Allemagne par Felix Mirbt et Maleen Burke, récemment arrivés au Québec, la Tchécoslovaquie par le Théâtre de Spejbl et Hurvinek, les États-Unis par le Puppet art of Woodstock et Rufus Rose Marionette. Le Festival eut un tel succès qu'il fallut installer des écrans extérieurs pour diffuser ce qui se passait à l'intérieur (1).
Micheline Legendre et les Marionnettes de Montréal présentent deux spectacles : Le Rossignol et l'Empereur de Chine et Il était une fois... Parallèlement, au Jardin des Merveilles du Parc Lafontaine, Micheline Legendre présente chaque jour une pantomime, Le Cirque, choisie spécialement pour les touristes étrangers.
Jacques Chesnais inaugure et clôture le festival avec Le Cirque Lilliput, suivi de Pantomimes et mimodrames. Un enregistrement des spectacles est réalisé par la télévision de Radio-Canada.
Chesnais participe également au 28e American Puppetry Festival, à Waterloo (en Ontario, au Canada), sous l’égide des Puppeteers of America. Lors de cette tournée, il invite André Laliberté, jeune marionnettiste formé par Micheline Legendre, à l’assister. Les Comédiens de bois se produisent également à Washington, dans le cadre du Festival de marionnettes organisé par la Smithsonian Institution. Les représentations ont lieu dans l’auditorium du Musée d’histoire naturelle de Washington, du 23 au 28 juillet. C’est là que Jacques Chesnais fait à André Laliberté cette remarque qui l’a suivi pendant toute sa carrière : « ce soir, le public a bien joué ».
C’est la dernière tournée de Jacques Chesnais. Sa maladie l’empêche dorénavant de manipuler.
Notes :
- Article de Francis Ducharme sur le festival de marionnettes durant l’Expo 67 : consulter sur le PAM
couteau pour Le Cirque par Jacques Chesnais. 1942 ©
Pôle International de la Marionnette, fonds Chesnais.