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Jean-Pierre Lescot : Taéma ou la fiancée du timbalier - Un théâtre à la lumière de l’ombre
Auteur : Patrick Boutigny, directeur du festival de Dives-sur-Mer de 1990 à 2010 et Secrétaire Général de THEMAA de 2004 à 2005.
Dossier réalisé en écho à la publication du numéro 60 de Manip (THEMAA, octobre-décembre 2019).
"L'ombre est la conscience et l'espérance de ceux qui dansent !" - Jean Pierre Lescot
Nous sommes en 1982, au Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières, festival né en 1961 par la volonté de Jacques Félix et connu dans le monde entier de tous les aficionados de cet art. Jean-Pierre Lescot y présente Taéma ou la Fiancée du timbalier, « un truc prodigieux » affirme Alain Recoing (1).
En effet, les organisateurs du festival ont décidé de prendre en compte le phénomène perceptible de la résurrection des théâtres d'ombres en Occident. À cette époque, de belles réalisations de théâtre d’ombres voient le jour avec les travaux d’Amoros et Augustin, Roland Shön, Alain Lecucq, ou encore du Théâtre de l’Ombrelle. A l’initiative de Margareta Niculescu, alors directrice de l’Institut International de la Marionnette, un stage international regroupant une quinzaine d'élèves venus des U.S.A., du Brésil, du Venezuela, de Tchécoslovaquie, d'Italie, d'Allemagne, de Suisse et de France, travaille l’ombre sous la direction de Jean-Pierre Lescot.
1. Voir aussi notre dossier thématique sur Alain Recoing
Jean-Pierre Lescot : Taéma ou la fiancée du timbalier - Un théâtre à la lumière de l’ombre
Auteur : Patrick Boutigny, directeur du festival de Dives-sur-Mer de 1990 à 2010 et Secrétaire Général de THEMAA de 2004 à 2005.
Dossier réalisé en écho à la publication du numéro 60 de Manip (THEMAA, octobre-décembre 2019).
"L'ombre est la conscience et l'espérance de ceux qui dansent !" - Jean Pierre Lescot
Nous sommes en 1982, au Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières, festival né en 1961 par la volonté de Jacques Félix et connu dans le monde entier de tous les aficionados de cet art. Jean-Pierre Lescot y présente Taéma ou la Fiancée du timbalier, « un truc prodigieux » affirme Alain Recoing (1).
En effet, les organisateurs du festival ont décidé de prendre en compte le phénomène perceptible de la résurrection des théâtres d'ombres en Occident. À cette époque, de belles réalisations de théâtre d’ombres voient le jour avec les travaux d’Amoros et Augustin, Roland Shön, Alain Lecucq, ou encore du Théâtre de l’Ombrelle. A l’initiative de Margareta Niculescu, alors directrice de l’Institut International de la Marionnette, un stage international regroupant une quinzaine d'élèves venus des U.S.A., du Brésil, du Venezuela, de Tchécoslovaquie, d'Italie, d'Allemagne, de Suisse et de France, travaille l’ombre sous la direction de Jean-Pierre Lescot.
1. Voir aussi notre dossier thématique sur Alain Recoing
Au commencement...
Jean-Pierre Lescot (France) © Compagnie Jean-Pierre Lescot
Un spectacle d'ombres balinaises présenté en 1969 à l'Espace Pierre Cardin va véritablement bouleverser Jean-Pierre Lescot, orientant définitivement sa carrière artistique. Suite à ce qui a été pour l’artiste « une véritable révélation, un choc émotionnel d'une rare intensité », il engage son premier voyage vers l’Extrême Orient, arpentant les routes de la Thaïlande, Bali et de Malaisie, avec le désir de peaufiner son regard sur le théâtre d’ombres, habité par un besoin viscéral d’enchantement.
"C'est dans ces pays, d'ailleurs, que j'ai ressenti mes plus belles émotions. Souvent, nous étions dans un champ, la nuit, à voir et entendre un spectacle qui se déroulait dans une ambiance quelque peu envoûtante. Je me souviens de cette musique répétitive « du Gamelang » et des intonations de la voix du montreur d'ombres qui vous transporte dans un autre monde. Je me suis beaucoup intéressé à tous les aspects de ces spectacles, à l'ensemble de leurs signes théâtraux qui semblent avoir été créés pour illustrer l'image parfaite de signes mis en harmonie : un sentiment de suspension du temps et de beauté."
Le monde réel ne semblait plus suffire. « Nous avons besoin d’images pour entrer en résonance avec le travail d’humanité qui nous a précédés ».
L'ombre comme sensation lumineuse
Jean-Pierre Lescot (France) © Compagnie Jean-Pierre
Lescot, photographie : Brigitte Pougeoise
Pour Jean-Pierre Lescot, « l'ombre ne peut se cantonner dans la description car sa découverte, c'est la retrouvaille avec un élément poétique. Il faut comprendre ici le mot élément au sens des quatre éléments. L'ombre a sa place au côté de la terre, du vent, de l'eau, du feu bien sûr. C'est dire que la découvrir ou la redécouvrir n'est jamais innocent puisque, comme le disait Gaston Bachelard : "Pourquoi chercher des dialectiques d'idées quand on a au cœur d'un simple phénomène des dialectiques d'êtres ?" Il faut comprendre en effet que, comme la flamme, l'ombre, être sans masse, est cependant un être fort. A cet être, on ne peut que confronter son propre être dans une rencontre émouvante et marquante », écrit-il dans la revue de THEMAA, Mû, en 1994 (2).
L’ombre reste un espace-temps d’exploration et de réflexion. Elle interroge « dans ses rapports du petit au plus grand, dans ses rapports à la proportion, dans ses rapports à l’extravagance : l’ombre […] fait affleurer le monde des forces obscures. » Magie, phénomène physiologique ou neuro-psychique ? « […] Pays enchanté, contrée de l'âme, inconscient ? » L’ombre ou « la marionnette » reste « une entité en soi, ce qui explique pourquoi le primitif a conféré à cette image son autre moi, qu’il peut transporter ailleurs : il en fait le personnage qui peut établir le lien entre le mode des vivants et celui des morts, et au delà, le lien entre le réel et l’imaginaire. L'ombre traduit bien la partie de la menace, une sorte de conjuration de la menace. » Lescot tente de saisir ses origines - « l'homme est fasciné par son ombre comme s'il y a vu son double alors » - ne cessant de chercher ses interprétations. Jouant « de mimétisme avec l’humain », l’ombre s’en détache acquérant une « autonomie » dans le déplacement, glissant vers l’improbable, avec cette capacité d’apporter sa singulière extravagance. »
Le nom de sa compagnie, les Phosphènes, porte ses résonances, mettant en exergue ainsi la sensation lumineuse qui résulte de la compression des yeux quand les paupières sont closes, cette nomination rend lisible ses choix esthétiques et l’empreinte physique, sensorielle sur le public.
Ainsi, l’ombre va trouver chez Jean-Pierre Lescot la possibilité de concilier une double exigence : une narration intense et une veille à l’endroit de la réception, son art préserve ainsi une portée sociale. Respectueux d’une déontologie artistique exigeante, Jean-Pierre Lescot aurait relancé le théâtre d'ombres en France, influençant jusqu'au-delà de nos frontières.
2. LESCOT, Jean-Pierre, "Un être fort", préambule de l'article "Les matériaux de l'Ombre" dans Mû, n°3, Paris, THEMAA, 1994, p. 27. Consulter le numéro.
Que raconte Taéma ?
"Dans le royaume de Taema, arrive un jour la mauvaise conseillère, la « Chuchoteuse ». Le vieux roi meurt. La Chuchoteuse, jouant alors de la lâcheté, de l'appétit de pouvoir des uns et des autres, entraîne le pays dans le chaos et la haine. Au milieu du carnaval grotesque, le timbalier de Taema retrouve sa fiancée, quand, tout-à-coup, le chef des gardes annonce la mobilisation pour la guerre.
Notre amoureux est sur la liste des appelés. Il quitte sa fiancée, mais reste plein d'espoir. La bataille fait rage. Traumatisé par la cruauté et la mort, le timbalier erre sur le champ de bataille, sans autre souvenir que son amour. La Chuchoteuse veut profiter de cette « épave » pour accroître la confusion.
Elle persuade le roi peureux de prendre pour gendre le timbalier, qu'elle présente comme le héros des combats... Taema n'est pas que cette histoire-là." (3)
Inspiré par la tradition, le metteur en scène s’amuse de la précision graphique des cartons découpés et plaqués sur l'écran et du jeu des couleurs et des lumières. Se détachant nettement grâce à un projecteur fixe, il élabore des images en mouvement. Têtes en carton, corps en tissus : ses ombres souples, presque vivantes, vibrent, ondoient, enflent, tournent sur elles-mêmes pour presque disparaître quand elles ne laissent plus voir que leur tranche. Le jeu consiste à les approcher ou à les éloigner de l’écran pour leur donner une matière et de l’épaisseur ou au contraire, aller jusqu’à jouer avec la transparence. Grâce au tissu, il colore les ombres en rouge, ocre, sépia et, travaillant avec plusieurs sources à la fois, la lumière permet des dédoublements : « ombres impressionnistes dont les proportions changent en fonction des variations de la lumière et du degré de transparence de leurs matériaux. Elles se révélèrent très théâtrales, vibrantes et vives, d'une présence immédiate », écrit Henryk Jurkowski.
"Ma démarche est donc de les bousculer avec ce parti pris d’apporter une contemporanéité au théâtre d’ombres : interroger par exemple la composante écran sur sa forme, sa matière, la composante source lumineuse sur sa multiplication, sa coloration, sa mouvance.
Il faut toujours travailler sur cette interpellation par un travail d’observation, toujours réinterroger ses outils et la matière qui va être façonnée par l’outil. C’est toujours la même démarche. C’est de cette manière que j’ai renouvelé, je crois, le théâtre d’ombres par l’observation et l’essai ce qui m’a permis d’enseigner ce travail sur l’analyse des gestes et des formes de telle manière que cela devienne un signe et que ces signes trouvent leur cohérence entre eux."
S’ajoute un travail sur le souffle et la musicalité des mots.
"Dans Taema, j’expérimentais les scènes, comme celle du roi ou celle du crime mais le texte n’arrivait pas : la résistance des matériaux imposait son énergie visuelle souvent liée au son comme si tu avais mis de la musique. C’étaient des sons étranges et Didier [de Calan] est venu comme le traducteur de ces sons étranges, ces mots étrangers. On est aussi pleinement dans la poésie qui révèle la musique des mots."
Mêlant passages descriptifs et narratifs, le spectacle est joué dans une langue inventée primitive - le gromelang - plus expressive qu’explicative. Cette langue à base de sonorités étranges s’harmonise avec l'expressionnisme visuel des ombres et avec la musique originale de Jacques Coutureau, composée en dialogue avec l’image.
"Les mots n'étaient plus porteurs d'idées, ils étaient « la matérialisation » de sensations, d'émotions et d'états d'être. Je travaillais alors sur le souffle et le son de la voix. Sans m'en rendre compte j'ai créé un choc, la tension émotionnelle y était très forte. Le spectacle se développait dans l'ambiance de la folie, du crime et de la guerre. Comme dans Macbeth ou dans le Roi Lear... Mon seul regret : ne pas avoir eu un orchestre en direct et de feu pour source lumineuse."
Parente nocturne de la marionnette à vue comme la définit Mathieu Braunstein, l’ombre a trouvé dans ce spectacle, sinon son maître, au moins son magicien. « Voyager aux pays des ombres ce n'est pas seulement dévoiler le secret des hommes et des choses, montrer leur double sombre. C'est préférer un univers ondoyant, élastique, tremblant qui dit la fragilité du rire, de la vie, de l'humour et de l'amour ».
3. Texte extrait d'un document de promotion du spectacle, intitulé "Les phosphènes présentent Taema ou la fiancée du timbalier. Théâtre d'ombres. Compagnie Jean-Pierre Lescot", Marne-la-Vallée, 1981. Consultable sur demande au Centre de Documentation et des Collections du Pôle International de la Marionnette : dossier documentaire du spectacle.
Pour aller plus loin...
Autour de Jean-Pierre Lescot et de sa compagnie :
• Patrick BOUTIGNY, A l'ombre du Théâtre Roublot : Jean-Pierre Lescot, Editions Phosphènes, 2016. Consultable au Centre de Documentation du Pôle International de la Marionnette.
• Dossier documentaire sur la compagnie Jean-Pierre Lescot compilé par le Pôle International de la Marionnette.
• Extrait du spectacle sur le site de l'Ina : consulter.
Clin d'oeil à l'international : Teatro Gioco Vita
© Pôle International de la Marionnette,
photographie : Christophe Loiseau
Né en 1971, le Teatro Gioco Vita est parmi les premières compagnies italiennes à travailler "l'animation théâtrale". Il rencontre le théâtre d'ombres à la fin des années 1970 et développe une expérience originale qui lui vaut des prix et des collaborations prestigieuses partout dans le monde, avec des théâtres permanents et des opéras tels que Teatro La Fenice de Venise, Royal Opera House de Londres, Teatro alla Scala de Milan, Teatro dell'Opera de Roma.
Le Teatro Gioco Vita, dirigé par Diego Maj en collaboration avec Fabrizio Montecchi et Nicoletta Garioni, est engagé non seulement dans la production de spectacles d'ombres, mais également dans des activités de laboratoire en relation avec les écoles et centres de formation. En 2018, Fabrizio Montecchi anime à l'ESNAM le stage "Instrumentarium du marionnettiste : l'alphabet des ombres", privilégiant une approche personnelle de cet art, visant à faire accepter le "degré de réalité" de l'ombre, sa présence, le lien intime qui nous lie à elle. "De qui dira-t-on que je suis l'ombre ?"