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Afrique : marionnettes et rites
« Le caractère secret, mystique et mystérieux des arts africains dont celui de la marionnette a [...] pour but de maintenir la dramatisation développant la curiosité, en alimentant le respect et la peur – parfois seulement une peur jouée – parmi les non-initiés, et attiser le désir de connaître les secrets de nos véritables cultures. Leur désacralisation anarchique aura pour conséquence l’accélération de leur complète disparition. » - Meyong Bekate(1)
Remerciements à Elisabeth den Otter pour sa relecture de ce dossier et ses pistes de recherche.
1. Meyong Bekate, comédien, marionnettiste et chercheur camerounais dans DARKOWSKA-NIDZGORSKI, Olenka (compilateur), UNIMA Informations : L’Afrique noire en marionnettes, Charleville-Mézières : UNIMA, 1988

Afrique : marionnettes et rites
« Le caractère secret, mystique et mystérieux des arts africains dont celui de la marionnette a [...] pour but de maintenir la dramatisation développant la curiosité, en alimentant le respect et la peur – parfois seulement une peur jouée – parmi les non-initiés, et attiser le désir de connaître les secrets de nos véritables cultures. Leur désacralisation anarchique aura pour conséquence l’accélération de leur complète disparition. » - Meyong Bekate(1)
Remerciements à Elisabeth den Otter pour sa relecture de ce dossier et ses pistes de recherche.
1. Meyong Bekate, comédien, marionnettiste et chercheur camerounais dans DARKOWSKA-NIDZGORSKI, Olenka (compilateur), UNIMA Informations : L’Afrique noire en marionnettes, Charleville-Mézières : UNIMA, 1988
Définition
photo Christophe Loiseau.
Musée de l'Ardenne.
Lorsque l’on parle des objets utilisés dans les rituels en Afrique, le mot « marionnette » est à employer avec précaution. Il existe bien des marionnettes, comme la marotte, les marionnettes aux pieds ou la marionnette-castelet – notamment lors des rites funéraires car la marotte permet la danse et le déplacement nécessaires et la marionnette-castelet car elle permet de cacher le manipulateur, ce qui participe au secret. Cependant, d’autres types d’objets sont plus largement utilisés dans les rites africains : statuettes – parfois articulées –, sceptres, figurines, etc. Il est tentant de les qualifier de marionnettes car ils s’y apparentent parfois dans leur forme ou leur manipulation. De plus, il est difficile de savoir si les mots des langues africaines pour désigner ces objets correspondent à la définition de la marionnette telle que nous la comprenons en Occident. Ainsi, les Bamanan (Mali) ne font pas de différence entre marionnettes et masques, qu'ils appellent tous les deux "masques", et qui ont tous les deux le même but(1). Nous allons donc plutôt parler ici d’effigies, par mesure de précaution. Le terme d’effigies comprendra à la fois les objets et les marionnettes cités ci-dessus.
1. DEN OTTER, Elisabeth, URL : http://elisabethdenotter.nl/site2/mali/mali.html : "No difference is made by the Bamanan between puppets and masks; both are called 'mask', and serve the same purpose: to represent the mythical and symbolic beings through concealed human beings."
Origines de la marionnette africaine
Photo Christophe Loiseau.
Musée de l'Ardenne.
Ses origines restent incertaines. Les plus vieilles traces retrouvées remontent à l’Antiquité, mais elles ne concernent que l’Egypte(1). Pour le reste du continent, il est difficile de définir quand a eu lieu l’apparition des premières effigies. Nous savons cependant que les traditions existantes étaient bien ancrées lorsque les colons européens sont arrivés au XIXe siècle, avec leurs propres marionnettes. La colonisation a eu un impact important sur les formes marionnettiques et les effigies africaines. A cause de la répression religieuse, des autodafés, du pillage(2), les traditions ont beaucoup souffert, et ont été diminuées voire ont disparu selon les endroits.
« Objets transitionnels – état de mort, état de vie – les marionnettes sont présentes dans les mythes où l’on explique leurs origines. »(3)
Comme pour le théâtre d’ombres asiatique, il existe des origines légendaires des marionnettes africaines, qui sont généralement liées aux esprits et à la mort. Selon un mythe des Ibibio du Nigeria, Akpan Etuk Ukyo aurait réussi à atteindre le monde souterrain des morts et des ancêtres et à en revenir avec des « marionnettes », tel Prométhée ramenant le feu aux hommes. Une autre légende du Nigeria raconte que les « marionnettes » ont été données aux hommes par un village de femmes magiciennes. Chez les Bozo, au Mali, l’art de la « marionnette » aurait été révélé par des génies de la brousse à un pêcheur qui aurait ensuite initié les autres pêcheurs.
A travers les siècles, les effigies africaines ont eu différentes fonctions qui sont très mêlées : rituelle, magique, éducative, divertissante. La fonction rituelle est l’une des plus connues. Les rites dans lesquels sont impliquées les effigies sont de natures diverses : ils sont divins, judiciaires, initiatiques, funéraires. Ils font partie intégrante du quotidien de nombreux peuples africains.
- Lors des fêtes dans les temples et des rites funéraires, des statues sacrées étaient animées par les prêtres à l’aide de cordes.
- Nous entendons ici pillage dans deux sens : le pillage dans sa définition première, c'est-à-dire le dépouillement des biens ; mais aussi l'achat d'objets aux peuples africains par les colons dans le but de créer des collections privées ou des expositions dans les musées occidentaux. Dans les deux cas, les effigies sont extraites de leur contexte habituel pour devenir des objets d'art dont la valeur est généralement purement esthétique.
- DARKOWSKA-NIDZGORSKI, Olenka, Marionnettes en territoire africain, Charleville-Mézières : Institut International de la Marionnette, 1991
Rites funéraires et rites de fertilité
Photo Christophe Loiseau.
Musée de l'Ardenne.
Dans les rites funéraires, les effigies sont utilisées pour accompagner les défunts dans leur voyage vers l’au-delà. Ces rites ont pour but d’assurer la bénédiction des défunts, la « bonne séparation du défunt et de la société des vivants »(1) et leur bon passage vers le monde des esprits. Les effigies utilisées ont des formes et des rôles variés :
- Elles peuvent servir d’accompagnement au défunt dans son voyage vers l’au-delà. Ainsi, en Côte-d’Ivoire, les déblé, grandes statues-pilons de l’organisation initiatique poro représentant le couple originel, les personnages mythiques et les morts des deux sexes accompagnent en musique le défunt dans sa marche vers l’au-delà.
- Elles peuvent également être un double du défunt, que l’on fait parader dans le village. Au Togo, lors de la commémoration d’une femme décédée, des secondes funérailles sont organisées un ou deux ans après les premières, au cours desquelles une figurine représentant la défunte, l’unil, fabriquée pour l’occasion, est conduite vers la demeure de son père.
- Enfin, elles peuvent être le corps du défunt lui-même. En République démocratique du Congo, des spécialistes fabriquent le niombo à l’occasion de la mort d’un chef traditionnel : le niombo est un gigantesque mannequin mortuaire en tissu qui contient le corps du défunt. Le rite associé à ce mannequin permet au mort de quitter la communauté villageoise apaisé. Au cours de celui-ci, le mannequin, maintenu debout et animé par ses porteurs, danse, fait des blagues et se promène dans le village, puis il est enterré. Dans certains pays, le corps du mort est directement manipulé comme une marionnette, sans être caché. La manipulation, qui est facilitée dans certains cas par une opération sur les os du défunt, est cachée afin de donner l’illusion que le mort bouge.
Ces cérémonies bien que funéraires restent des moments festifs, accompagnés de danse et de musique, qui honorent le mort et sa vie. Ils font même preuve d’humour et de dérision. Ainsi, au Congo, le niombo fait mine de retourner vers le village pour ne pas être enterré. Pour que les rites funéraires puissent fonctionner, et pour que l’effigie puisse réellement représenter un mort, elle doit généralement porter en elle quelque chose qui provient du défunt : des cheveux, une dent, etc., qui permettent de matérialiser le lien entre l’effigie et la personne. Sinon, l’effigie en elle-même n’est qu’un objet.
Dans les croyances africaines, la mort est très liée à la vie et à la régénérescence, l’une ne va pas sans l’autre. C’est pour cela que les rites funéraires sont souvent liés aux rites de fertilité : dans certaines cérémonies funéraires, au Bénin par exemple, des effigies représentent une danse amoureuse qui conduit à l’accouplement. Les rites de fertilité ont des objectifs précis et des effets réel - qui ne sont pas séparés des objectifs sacrés. Ils ont pour but d’assurer l’existence de la tribu. Ils fonctionnent sur la base de la pensée magique analogique(2) : l’accouplement aurait un effet sur la germination des grains, donc, afin d’obtenir de la nature et des puissances surnaturelles la meilleure récolte possible, l’acte sexuel est mis en scène grâce à des effigies, qui peuvent par exemple prendre la forme d’un couple de pantins évoluant sur une ficelle fixée aux pieds d’un manipulateur (marionnettes aux pieds).
Les poupées de fécondité, considérées par certains comme l’ancêtre des marionnettes, sont données aux jeunes filles pour les préparer à la maternité et les protéger de la stérilité. Elles doivent pour cela être traitées selon des codes préétablis, et le processus est surveillé par les autres femmes du village.
« Dans les mains des jeunes filles, les poupées de fécondité s’imprègnent de forces vives, de même que les marionnettes dans celles du marionnettiste. »(3)
- DARKOWSKA-NIDZGORSKI, Olenka, Théâtre populaire de marionnettes en Afrique Sud-Saharienne, Bandundu : CEEBA productions, 1980
- « force du Double agissant dans et par la marionnette » dans DARKOWSKA-NIDZGORSKI, Olenka (compilateur), UNIMA Informations : L’Afrique noire en marionnettes, Charleville-Mézières : UNIMA, 1988
- DARKOWSKA-NIDZGORSKI, Olenka, Cahiers de l’ADEIAO, n° 13, Tchitchili Tsitsawi : marionnettes d’Afrique, Paris : Editions ADEIAO, 1996
Rites d'initiation et secret
Utilisation des effigies dans les rites d’initiation
Photo Christophe Loiseau.
Musée de l'Ardenne.
Les effigies jouent également un rôle important dans certains rites initiatiques. Elles peuvent servir lors de rites de passage à l’âge adulte, dans lesquels elles sont parfois l’habitacle d’un esprit qui communique avec l’initié. Pour le comédien Bakary Sangare, la marionnette était sa « confidente et amie, qu’il tenait en main et à laquelle il parlait pendant sa retraite initiatique »(1).
« Pendant l’initiation, la marionnette assiste le novice. »(2)
Au-delà de ce rôle d’accompagnement des effigies, les jeunes hommes peuvent être amenés à adopter, notamment lors du rite entourant leur circoncision, des comportements et des mouvements qui rappellent les effigies, « homme qui se fait marionnette »(3). Ils prennent l’aspect de revenants pour revenir parmi les vivants après leur séjour dans un lieu secret. Ils meurent ainsi symboliquement, car l’initiation à la vie adulte inclut l’expérience de la mort. L’initiation est comme une deuxième « vraie » naissance.
Initiation aux secrets des effigies
Les effigies utilisées dans les différentes cérémonies sont considérées comme des divinités et elles sont utilisées de la même manière que les statuettes sacrées. Par leur lien avec les rites initiatiques et de toutes sortes, les effigies – et parmi elles la marionnette – sont très liées au mystère. Ainsi, seuls les initiés ont accès aux secrets de la marionnette, qu’ils soient liés à sa confection, à sa manipulation ou à son langage.
A travers l’Afrique, et en fonction des peuples, chaque classe d’âge, chaque classe sociale, chaque groupe ethnique, chaque association peut avoir ses propres marionnettes. Jusqu’à récemment, les groupes qui avaient accès aux secrets des marionnettes étaient exclusivement masculins. Cependant, des femmes luttent depuis les années 1980 pour se faire une place dans ce milieu réservé aux hommes, et certaines d’entre elles sont aujourd’hui reconnues internationalement (Were Were Liking en Côte d'Ivoire, Patricia Gomis au Sénégal).
En ce qui concerne la reconnaissance du type de personnages utilisés dans le théâtre de marionnettes, l’initiation aux secrets se fait à différents degrés, qui permettent de reconnaître leurs signes distinctifs : matériaux, forme du corps, couleurs, etc.
Il faut être initié pour manipuler des effigies, sous peine de punition. En effet, les effigies venant selon les légendes de puissances supérieures (ancêtres, esprits, magicien·ne·s, etc.), les manipuler sans être initié à leurs secrets peut entraîner des conséquences graves, qui vont de la stérilité à la mort. Dans les légendes des origines, les hommes à qui des forces surnaturelles ont transmis les effigies et qui ont révélé leurs secrets sont tous tués :
« Parce que dans la tradition […] africaine en général, la marionnette est un fétiche, un objet sacré avec lequel on ne joue pas impunément. »(4)
Le marionnettiste africain lorsqu'il impliqué dans les rites – qu’ils soient funéraires, initiatiques, etc. – est un intermédiaire entre les esprits – ou Dieu lui-même – et les vivants. Cependant, ce n’est pas lui qui insuffle l’esprit dans les effigies. C’est l'effigie elle-même qui est animée par les esprits. Le marionnettiste est au service du monde des esprits – et donc de la marionnette –, et il protège les vivants non-initiés de la dangerosité de cette communication. Il reste donc généralement en retrait par rapport à l'effigie, et il cache les « trucs » qui donnent l’illusion de la vie de l’objet, et qui sont des secrets bien gardés.
Des rituels, accompagnés parfois de sacrifices, peuvent précéder la fabrication des effigies et les spectacles, notamment lorsque les effigies sont fabriquées à partir de bois sacré. Le constructeur s’isole alors de la société pour fabriquer son effigie loin des regards des non-initiés.
Musées Gadagne
- DARKOWSKA-NIDZGORSKI, Olenka, NIDZGORSKI, Denis, Le chant de l’oiseau : théâtre de marionnettes, racines africaines, Paris : non édité, 1997
- Ibid.
- DARKOWSKA-NIDZGORSKI, Olenka, Théâtre populaire de marionnettes en Afrique Sud-Saharienne, Bandundu : CEEBA productions, 1980
- DARKOWSKA-NIDZGORSKI, Olenka (compilateur), UNIMA Informations : L’Afrique noire en marionnettes, Charleville-Mézières : UNIMA, 1988
Conclusion : la marionnette contemporaine
Evolution de la fonction rituelle
TJP - Centre dramatique National
d'Alsace - Strasbourg, 2006.
« En Afrique noire, les peuples restés très attachés à la tradition se servent encore des marionnettes, des statuettes et des masques comme support des pratiques rituelles telles que la conciliation et la conjuration des ancêtres, des génies, des esprits rôdeurs et des forces célestes. »(1)
L’utilisation des effigies et de la marionnette dans les rituels et plus généralement la fonction rituelle de la marionnette en elle-même est aujourd’hui encore bien présente en Afrique, même si elle ne prend pas nécessairement la même forme que ce que nous venons de voir.
Dans tous les cas, la marionnette, à travers le rite, a un impact sur la réalité de ceux qui la manipulent, mais aussi de ceux qui l’entourent. Son rôle rituel est aussi un rôle social, qui fait pleinement partie de la vie quotidienne du village et qui participe à la construction de l’identité des individus. La marionnette est impliquée à la fois dans les coutumes et les traditions de la société mais aussi dans l’évolution de l’individu au sein de cette société.
Malgré les attaques subies lors de déculturation de la colonisation, la marionnette africaine a survécu, même si ce n’est pas nécessairement sous la même forme qu’auparavant :
« Son langage et ses fonctions traditionnelles ont réussi à résister, à s'adapter, se transformer ou se réinventer face aux violents et profonds changements politiques, socio-économiques qui ont traversé et traversent la culture africaine contemporaine. »(2)
A partir des années 1980 environ, l'objet rituel est parfois sorti de son contexte pour être mis dans celui de la performance contemporaine et des représentations culturelles et donc dans un nouveau système de signification culturelle. Ainsi, Were Were Liking, marionnettiste camerounaise, travaille sur le théâtre rituel :
« Cette évolution de l’objet rituel iconique vers un nouveau système de signification culturelle en tant que medium de représentation a un grand potentiel pour la transformation et l'action sociale. »
La marionnette africaine devient alors rapidement un art pluridisciplinaire aussi bien dans sa forme – il mêle théâtre, danse, vidéo, etc – que dans ses influences – par exemple, William Kentridge en Afrique du Sud s’inspire du dadaïsme.
Désacralisation de la marionnette et ouverture à l'international
La marionnette africaine a été désacralisée par les marionnettistes africains eux-mêmes : on pense plus particulièrement ici à Danaye Kanlanfei, qui apporte l’articulation aux fétiches de son clan togolais à la suite d’un stage qu’il suit dans les années 1970 à Lomé (Togo), et fait ainsi connaître la marionnette africaine au niveau national et international.
« Au Togo, le maître de marionnettes Danaye Kanlanfei est le premier à avoir fait connaître la marionnette africaine au niveau national et international. Dieux, ancêtres divinisés, esprits protecteurs ou malfaisants, animaux mythiques, fantastiques habitent le monde du maître. Ses marionnettes sont les descendantes naturelles des Tchitchili de jadis (marionnettes sacrées ou petits dieux). En 1978, il crée la troupe Nationale de Marionnettes du Togo et rapidement, il multiplie stages, formations à l’étranger et rencontres internationales. »(3)
Photo Anita Bednarz, 2001.
Dans un premier temps, les troupes de théâtre de marionnettes africaines sont invitées à participer à des festivals internationaux afin de montrer les formes traditionnelles des marionnettes. Puis, au fil de leur évolution, elles viennent présenter des formes plus contemporaines. Cette ouverture a permis à certaines compagnies de collaborer avec des institutions internationales reconnues. Ainsi, la Handspring Puppet Company – compagnie d’Afrique du Sud qui a remis au goût du jour la marionnette pour adultes dans un pays où la colonisation avait fait de la marionnette un art destiné aux enfants – a vu son spectacle War Horse produit par le Royal National Theatre de Londres.
Les marionnettistes africains eux-mêmes travaillent au développement de festivals dédiés aux arts de la marionnette et aux formes associées. En 2005, Janni Younge crée Out the Box Festival, le premier festival dédié à la marionnette en Afrique du Sud, pour répondre au besoin d’une plateforme qui permettrait de développer le travail des marionnettistes professionnels et l’innovation dans les arts.
Autres rôles de la marionnette
Au-delà de son rôle rituel, la marionnette contemporaine en a d’autres – qui sont peut-être moins connus, mais pas pour autant nouveaux. Le divertissement, notamment, a une place très importante. Il est souvent lié à celui d’éducation, notamment dans les zones rurales : la marionnette permet d’enseigner l’hygiène, les techniques de l’agriculture, la vie en société, la sexualité, etc.
La marionnette joue également un rôle de dénonciation et de protestation contre les pouvoirs en place. Pour cela, elle se tourne vers des registres satiriques. Ainsi, William Kentridge s’empare du personnage d’Ubu comme symbole des dérives totalitaires. Dans son travail, il dénonce l’apartheid et parle de la décolonisation et du rôle de l’Afrique du Sud dans la Première guerre mondiale. Il passe par le prisme de l’histoire africaine pour montrer l’humanité dans son entièreté. Au contraire, la marionnette peut avoir un rôle de « fixation » de la paix. Chez certaines tribus, des spectacles sont donnés après la guerre. Les marionnettes permettent d'enseigner au peuple - et plus particulièrement aux enfants (voir les actions de Patience Bonheur Fayulu et de Djodjo Kazadi, Serge Amisi et Yaoundé Mulamba sur les enfants-soldats congolais) - à vivre en temps de paix et à guérir de ses traumatismes. On retrouve ici le rôle de médiation des effigies, cependant elle se fait ici, non pas entre les vivants et les esprits, mais entre le peuple et son gouvernement. Toutefois, elle facilite toujours la communication entre deux instances.
« Sur scène, le maître est la marionnette, elle est en lui, il est en elle. A deux, [le maître et la marionnette] entament toutes sortes de questions : la place de l’Homme dans son univers spatio-temporel, ses rapports avec les divinités ancestrales, la tradition et le modernisme, l’environnement, la démocratie, la corruption, l’immigration clandestine avec un certain humour. »(4)
Marionnette à fils du Togo.
Musées Gadagne.
Certains marionnettistes africains se servent de la marionnette pour sensibiliser les publics locaux et internationaux à des sujets sociétaux qu’ils ont pour but de faire changer. Patricia Gomis, marionnettiste sénégalaise, sensibilise à travers son spectacle Petit bout de bois à la condition des enfants mendiants dans le but de les rendre visible et de le faire sortir de la rue. Localement, les marionnettistes jouent dans les écoles, les hôpitaux, les centres sociaux culturels, les orphelinats, etc. A l’international, ils sont invités à jouer dans des centres culturels, dans des festivals. La marionnette est un bon medium car elle permet « d’aborder des sujets graves en diminuant la charge émotionnelle » (Patricia Gomis).
Les marionnettistes eux-mêmes sont attentifs aux sujets auxquels ils sensibilisent leur public. Ainsi, ils sont nombreux à pratiquer la récupération de matériaux pour la construction de leurs marionnettes.
Formation des marionnettistes
Nombre de compagnies et d’associations africaines participent activement à la formation des jeunes marionnettistes. Certaines d’entre elles ont imaginé des outils pour les accompagner : Were-Were Liking a mis en place dès les années 1980 un système de formation inspiré des initiations africaines ; la Handspring Puppet Company a créé l’organisation à but non lucratif The Handspring Trust for Puppetry Arts, dont l’une des missions est d’initier des projets éducatifs utilisant la marionnette dans le but d’enseigner l’expression artistique aux jeunes gens ; l’association Djarama travaille à la création d’une « Filière de la marionnette au Sénégal » pour que la marionnette soit enseignée à l’Ecole Nationale des Arts de Dakar ; au Burkina Faso, Yacouba Magassouba forme des femmes au métier de marionnettiste.
- DUMA-NGO, Malutama, L’univers des objets animés et de la marionnette en Afrique subsaharienne, Louvain-la-Neuve : Centre d’études théâtrales, 1987 dans DARKOWSKA-NIDZGORSKI, Olenka, Cahiers de l’ADEIAO, n° 13, Tchitchili Tsitsawi : marionnettes d’Afrique, Paris : Editions ADEIAO, 1996
- BEDNARZ, Anita, La Marionnette africaine, tradition et modernité [en ligne], 2020, URL : https://www.marionnettes-afrique.com/
- Ibid.
- Ibid.
Interview de Were Were Liking (extrait)
Interview réalisée le 16 mars 2016 au Pôle International de la Marionnette.
Vidéo Aurélie Bonamy.
Pistes pédagogiques
1- Fabriquer des marionnettes à partir de matériaux et d'objets récupérés, soit dans la nature soit dans la vie quotidienne, et les utiliser pour :
- Représenter des sujets sur lesquels les élèves aimeraient sensibiliser un public, à l'instar des marionnettistes africains contemporains ;
- Illustrer une des origines légendaires des effigies africaines1 :
• Akpan Etuk Ukyo atteint le monde des morts et des ancêtres et en revient avec des marionnettes, qu'il transmet aux autres hommes (Nigeria) ;
• Les marionnettes sont données aux hommes par un village de femmes magiciennes (Nigeria) ;
• L'art de la marionnette est révélé à un pêcheur par des génies de la brousse, il initie ensuite les autres pêcheurs (Mali).
La fabrication des marionnettes peut être précédée ou accompagnée d'un atelier d'écriture du texte qui sera mis en scène.
2- A partir de l'anecdote sur Akpan Etuk Ukyo, travailler à la comparaison avec d'autres mythes similaires, comme ceux de Prométhée donnant le feu aux humains ou d'Orphée descendant aux Enfers. Comparer ainsi les mythes occidentaux et africains et ce que cela dit du fonctionnement de leur société.
(1) Ces histoires peuvent également être illustrées à l'aide d'autres médiums comme l'écriture, le dessin ou le théâtre, avec la possibilité de mélanger les genres.
Pour aller plus loin...
Sources(1)
Bibliographie :
- DARKOWSKA-NIDZGORSKI, Olenka, Cahiers de l’ADEIAO, n° 13, Tchitchili Tsitsawi : marionnettes d’Afrique, Paris : Editions ADEIAO, 1996
- DARKOWSKA-NIDZGORSKI, Olenka, NIDZGORSKI, Denis, Le chant de l’oiseau : théâtre de marionnettes, racines africaines, Paris : non édité, 1997
- DARKOWSKA-NIDZGORSKI, Olenka, "La marionnette africaine dans son identité traditionnelle et très moderne" dans CALAME-GRIAULE, Geneviève (dir.), Cahiers de littérature orale n°38, Marionnettes, Paris : INALCO, 1995
- DARKOWSKA-NIDZGORSKI, Olenka, Marionnettes en territoire africain, Charleville-Mézières : Institut International de la Marionnette, 1991
- DARKOWSKA-NIDZGORSKI, Olenka, Théâtre populaire de marionnettes en Afrique Sud-Saharienne, Bandundu : CEEBA productions, 1980
- DARKOWSKA-NIDZGORSKI, Olenka (compilateur), UNIMA Informations : L’Afrique noire en marionnettes, Charleville-Mézières : UNIMA, 1988
- JULLIARD, André, « Approche ethnologique du rite à partir des sociétés d’Afrique noire », dans Les rituels de la marionnette, Lyon : Rencontres de Gadagne, 2004
Webographie :
- Ouvrage collectif, Encyclopédie mondiale des arts de la marionnette [en ligne], 2009, URL : https://wepa.unima.org/
- Article « Afrique » : https://wepa.unima.org/fr/afrique/
- Article « Togo » : https://wepa.unima.org/fr/togo/
- Article « Mali » : https://wepa.unima.org/fr/mali/
- (voir aussi les articles des autres pays du continent)
- Article « Marionnettes aux pieds » : https://wepa.unima.org/fr/marionnettes-aux-pieds/
- Article « Rites » : https://wepa.unima.org/fr/rites/
- BEDNARZ, Anita, La Marionnette africaine, tradition et modernité [en ligne], 2020, URL : https://www.marionnettes-afrique.com/
- DEN OTTER, Elisabeth, URL : http://www.elisabethdenotter.nl/site1/Homepage_of_Elisabeth_den_Otter/Welcome.html
1. Mise en garde : en ce qui concerne les sources sur les marionnettes africaines, privilégiez toujours des personnes qui ont une expérience du terrain et des langues : chercheurs et artistes africains ou qui ont vécu en Afrique, ethnologues, anthropologues, etc.